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FREUD LUCIAN (1922-2011)

L'homme mis à nu

De fait, pendant toute sa carrière, Freud met à nu le corps humain et en souligne avec compassion la séduction et la fragilité. Peintre de la tristesse de la chair plus que de son exaltation (Homme nu au rat, 1977-1978, Art Gallery of Western Australia), il s'éloigne des canons du beau idéal et met crûment en valeur l'apparence physique, souvent banale, de ses modèles, éloignés de toute grâce particulière, voire marqués par l'âge. Si cette nudité présente une dimension sexuelle évidente, elle paraît aussi renvoyer à une faiblesse humaine d'ordre plus essentiel. Ce mystère et ce drame qui se manifestent dans la chair nue, Freud continue de les explorer même lorsqu'il se concentre sur un simple visage. Ainsi confie-t-il à Laurence Gowing, à propos de Tête endormie (1962, collection particulière) : « J'allais faire un nu quand je me suis rendu compte que je pouvais le faire avec la tête seule. » Dès le Portrait de Francis Bacon (1952, Tate Gallery, Londres), la figuration du visage humain, dans sa singularité et son expressivité, devient un de ses thèmes favoris. C'est dans ce genre qu'il procède, avec La femme qui sourit (1958-1959, collection particulière), à un renouvellement décisif de sa manière de peindre, en abandonnant la valorisation du seul contour au profit de la couleur matière, étalée avec vigueur et violence sur la surface au moyen des poils durs d'un pinceau en soie de porc. Ce travail de représentation en relief déstructure le visage et lui confère une singulière intensité. De fait la spécificité de la peinture, par rapport à la photographie notamment, n'est pas aux yeux de Freud d'ordre technique, mais relève de l'éthique : la différence entre le portrait photographique et le portrait peint, souligne-t-il, est « le degré d'intervention des sentiments dans l'échange entre les deux parties en présence. La photographie les laisse jouer dans une toute petite mesure, la peinture dans une mesure illimitée ».

Cet « échange de sentiments » s'opère d'autant plus fortement que Freud peint « avec le modèle vivant », et non d'après lui, et travaille généralement avec des personnes qui appartiennent à son entourage. Une série d'importants portraits se présente cependant comme des créations à vocation publique, dans la lignée des portraits d'apparat courants aux siècles antérieurs (Lord Goodman in his Yellow Pyjamas, 1987 ; Portrait of Baron H. H. Thyssen-Bornemisza, 1981-1982, musée Thyssen-Bornemisza, Madrid). Mais, même dans ces tableaux qu'on peut dire officiels, Freud montre l'ambition de traquer l'authenticité de la personne derrière son masque social, et met en valeur avec une violence savamment retenue l'émotion qui émane de chaque être humain : « La peinture, c'est la personne », aime-t-il à répéter. Portée à incandescence, la peinture est cet « art de révélation » qui traque dans l'apparence sensible une vérité complexe et mystérieuse ; même les natures mortes – Cyclamen, 1964 ; Deux Plantes, 1977-1980, Tate Gallery, Londres – se révèlent de ce point de vue plus étranges qu'on ne le croirait à première vue.

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Écrit par

  • : professeur d'histoire et de théorie de l'art contemporain, université de Paris VIII

Classification

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