PINTILIE LUCIAN (1933-2018)
Metteur en scène de théâtre et réalisateur, producteur, figure de proue du cinéma roumain contemporain, l’œuvre de Lucian Pintilie est à l’origine de prises de position radicales en matière de politique cinématographique. Pour beaucoup de cinéastes, en effet, il fut un modèle autant qu’un antimodèle, et une constante référence.
Né à Tarutino (aujourd’hui Taroutyne en Ukraine) le 9 novembre 1933, Lucian Pintilie est diplômé en 1956 de l’Institut d’art théâtral et cinématographique de Bucarest. Il débute comme metteur en scène de théâtre et de télévision, mais ne tarde pas à se voir imputer de « graves erreurs idéologiques » par le régime communiste. Le conflit qui s’ensuit marque un temps d’arrêt dans sa carrière, d’autant plus que, depuis 1952, il est surveillé par la police politique, la Securitate, et considéré comme « élément hostile, réactionnaire, à tendances cosmopolites évidentes ». C’est en 1959 que Liviu Ciulei, personnalité marquante des arts du spectacle, intervient en sa faveur. Cette main tendue sera décisive pour la carrière théâtrale et cinématographique de Pintile. Ciulei le coopte comme assistant-réalisateur et interprète pour le film de Ciulei, Les Flots du Danube. En 1965,il reçoit une bourse de l’UNESCO pour une spécialisation en mise en scène cinématographique qu’il réalisera en France et en Italie. En 1971, sa mise en scène du Revizorde Gogol, au théâtre Bulandra de Bucarest, fait scandale. Il est alors interdit d’accès à la scène en même temps que son spectacle, et sa collaboration avec Ciulei s’interrompt.
De ses débuts au cinéma jusqu’en 1989, Pintilie va réaliser trois longs-métrages de fiction, « films maudits » victimes du conflit permanent avec l’État, qui en est le producteur. Dimanche à 6 heures (1966) fait voler en éclats les clichés propres au genre du film antifasciste et séduit le spectateur par un discours poétique dépourvu de toute linéarité, qui rappelle la « nouvelle vague ». La Reconstitution (1970) donne au réalisateur l’intuition de ce que sera le projet décisif pour son destin artistique. C’est un film politique et social, proche de ce que l’on faisait de mieux à ce moment-là en Pologne, en Hongrie, en Tchécoslovaquie. Il n’en fut pas moins retiré du circuit public à quelques semaines de la première. En 2008, la critique y verra le « meilleur film », la référence, du cinéma roumain. Scènes de carnaval, enfin, est inspiré de la pièce de théâtre d’I. L. Caragiale. Le contrat est signé en 1977, mais pour aboutir à sa version d’auteur Pintilie a négocié avec la censure jusqu’en 1984... Le film ne sera montré au public qu’en juin 1990. Il réalise également un film en Yougoslavie, Pavillon 6 (1973), d’après Tchekhov.
Les avatars de son existence artistique en Roumanie n’empêchent pas Pintilie de s’affirmer comme metteur en scène de théâtre et d’opéra en France et aux États-Unis. Il reviendra au pays en 1990 pour ne plus en repartir. Consacrant toute son activité au cinéma, il accepte de devenir le directeur d’une institution nouvellement créée, le Studio cinématographique du ministère de la Culture. Il restera à la tête du Studio jusqu’à sa mort, malgré ceux qui s’efforçaient de le faire sortir du jeu.
Producteur exemplaire, il appuie par ses propres œuvres – sept coproductions franco-roumaines sur les huit titres qu’il a réalisés après 1990 – l’idée que la seule solution pour la cinématographie roumaine passe par le développement des coproductions internationales (lui-même a collaboré avec Martin Karmitz). Depuis Le Chêne (1991) jusqu’à Un été inoubliable (1994), depuis Trop tard (1996) et Terminus Paradis (1998) jusqu’à L'Après-midi d'un tortionnaire (2000), Niki et Flo(2002) et Tertium non datur(2005, moyen-métrage), Lucian Pintilie se fait le chroniqueur[...]
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Écrit par
- Bujor Ion RÎPEANU : critique et historien du cinéma
Classification
Média