BERIO LUCIANO (1925-2003)
« Je m'intéresse à une musique qui crée et développe des relations entre des points très éloignés, à travers un parcours de transformations très larges » (Luciano Berio, in Entretiens avec Rossana Dalmonte).
D'une étonnante diversité, l'œuvre du compositeur italien Luciano Berio constitue un véritable résumé de la recherche musicale dans la seconde moitié du xxe siècle : il a en effet mis à profit toutes les techniques, du sérialisme à l'électroacoustique, tout en manifestant sa vie durant une prédilection pour la voix.
Le passé comme futur
Luciano Berio naît le 24 octobre 1925 à Oneglia, en Ligurie, dans une famille de musiciens : son grand-père, organiste, et son père, pianiste et compositeur de musiques d'accompagnement de films muets, sont ses premiers professeurs. Il apprend le piano et pratique la musique de chambre dès son plus jeune âge : Mozart, Beethoven, Schubert, Schumann et Brahms nourrissent ses années d'apprentissage. Mais la vie culturelle est indigente dans sa petite ville natale pendant la période fasciste et le jeune Berio n'a pas l'occasion de connaître les musiques de la première moitié du xxe siècle, les courants novateurs, les nouvelles formes musicales qui sont en train de naître, les révolutions harmoniques – la seconde école de Vienne, l'école française – ou rythmiques – Stravinski, Bartók – qui s'opèrent. Incorporé de force dans l'armée de l'éphémère République fasciste de Salò, il est blessé à la main droite lors d'une séance d'entraînement en 1944, ce qui va mettre un terme à la carrière de pianiste qu'il avait envisagée. De la fin de 1945 à 1951, il étudie au Conservatoire Giuseppe-Verdi de Milan, où il suit les cours de Giulio Cesare Paribeni (contrepoint) et de Giorgio Federico Ghedini (composition). C'est durant sa première année au Conservatoire qu'il découvre la seconde école de Vienne, qui le marquera profondément, Stravinski, Bartók et Milhaud.
1950 est une année capitale dans l'existence de Berio : il épouse la cantatrice américaine Cathy Berberian ; avec elle, il explorera toutes les possibilités de la voix humaine et c'est elle qui créera la plupart des œuvres qu'il composera pour la voix. Ses études au Conservatoire achevées, une bourse de la fondation Koussevitzky lui permet de se rendre en 1952 au Berkshire Music Center de Tanglewood (Massachusetts), afin d'y suivre l'enseignement de composition de Luigi Dallapiccola, qui l'initie au sérialisme. Parallèlement à ses études académiques, son séjour aux États-Unis l'amène à s'intéresser à d'autres courants musicaux : le jazz, le blues, le rock émergent...
Autre année clé : 1953. En mars, Chamber Music, pour voix de femme, violoncelle, clarinette et harpe, d'après un texte de James Joyce, est créé à Milan ; la voix de femme est interprétée par Cathy Berberian. Cette même année, Berio est invité à Darmstadt, où il fait la connaissance de Pierre Boulez, de Karlheinz Stockhausen, de John Cage, d'Henri Pousseur et, surtout, de Bruno Maderna, avec lequel il entretiendra une longue amitié. La complicité entre les deux compositeurs est si forte qu'ils décident de fonder ensemble un studio de musique électronique, projet qui se concrétisera en 1955 avec l'ouverture à Milan, au sein de la R.A.I., du Studio di fonologia musicale, première institution italienne dédiée à la musique électroacoustique ; Berio et Maderna en prennent conjointement la direction (Berio abandonnera cette direction en 1961). Henri Pousseur viendra y travailler en 1957, John Cage en 1958. C'est au sein de cette institution que Berio réalisera sa pièce pour bande magnétique Thema, Omaggio a Joyce, créée à Naples en 1958.
Dans les années 1950, Berio explore également les potentialités[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Juliette GARRIGUES : musicologue, analyste, cheffe de chœur diplômée du Conservatoire national supérieur de musique de Paris, chargée de cours à Columbia University, New York (États-Unis)
Classification
Autres références
-
SEQUENZA III (L. Berio)
- Écrit par Juliette GARRIGUES
- 250 mots
- 1 média
Passionné par la voix, Luciano Berio donne avec la Sequenza III, pour une voix de femme, dédiée à son ex-épouse Cathy Berberian, qui la crée à Brême en 1966, un des sommets de la musique vocale contemporaine, domaine dans lequel le compositeur italien aura tout osé. Contrairement à ...
-
BERBERIAN CATHY (1925-1983)
- Écrit par Claude SAMUEL
- 1 070 mots
- 1 média
Ayant choisi, plus par goût que par accident, la route périlleuse de la création contemporaine, Cathy Berberian n'appartenait pas au monde des stars d'opéra. Le public de mélomanes, celui qui lance tous les trois mois une nouvelle diva, l'a superbement ignorée ; mais, alors que les divas d'un trimestre...
-
CITATION, musique
- Écrit par Alain FÉRON
- 1 044 mots
- 1 média
La pratique de la citation a de tout temps existé en musique. Elle apparaît même comme une des composantes les plus importantes de l'écriture musicale, comme en témoigne la variété des termes techniques qui désignent et recouvrent cette pratique : arrangement, coloration, contrafacture, fragments,...
-
FRAGMENT, littérature et musique
- Écrit par Daniel CHARLES et Daniel OSTER
- 9 372 mots
- 2 médias
...hasard ; de même, on équilibre les programmes des concerts. Même une exposition personnelle requiert une certaine ordonnance dans l'accrochage des toiles : ainsi les sept pièces d'orchestre d'Epifanie de Luciano Berio peuvent soit se regrouper entre elles, pour configurer trois Quaderni, soit se... -
HAUTBOIS
- Écrit par Juliette GARRIGUES
- 765 mots
- 4 médias
La Sequenza VII de Luciano Berio (1969), dédiée au prodigieux hautboïste Heinz Holliger, représente une recherche tout à fait à part : le compositeur fait dialoguer dans une sorte de polyphonie le son de l'interprète (souffle, petites déclamations de la voix, claquement des lèvres...) avec celui...