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BERIO LUCIANO (1925-2003)

La tentation de la scène

Berio compose pour la scène à partir des années 1960. Ces œuvres ressortissent souvent au genre de l'opéra, auquel il apporte toutefois la fluidité et la nouveauté d'approche du théâtre musical ou de l'oratorio. Berio choisit généralement de mélanger des textes appartenant à des époques différentes, provoquant ainsi des échos et des correspondances. Il propose une autre conception du spectacle où voix, instruments, gestes, mise en scène, décors, lumières, costumes, sans perdre leur autonomie, sont étroitement imbriqués au cours d'une élaboration conjointe. Au récit linéaire se substitue ainsi une sorte de contrepoint d'histoires et de points de vue. C'est dans les créations pour la scène (théâtre musical, actions musicales) que le compositeur s'engage véritablement politiquement, proclamant avec véhémence ses idéaux d'être humain sensible et d'homme de gauche engagé contre le racisme et résolument anticapitaliste. Traces, pour voix solos, chœur et orchestre (1963), est une critique virulente du racisme. Passaggio, « messa in scena » sur des textes d'Edoardo Sanguineti et du compositeur, pour soprano, deux chœurs mixtes et petit orchestre (1963), est une pièce de théâtre musical dans laquelle le personnage central, conditionné par le matérialisme de la société, se dégrade et va à sa perte. Laborintus II, « azione scenica » sur un texte de Sanguineti, pour trois voix solistes, huit acteurs-mimes, chœur mixte, orchestre de chambre et bande magnétique (1965), est un collage texte-musique dans lequel Berio attaque également le capitalisme ; cet ouvrage, commandé pour le sept centième anniversaire de la naissance de Dante, comporte notamment des extraits de La Divine Comédie et des extraits de la Bible. La Vera Storia, sur un livret d'Italo Calvino et du compositeur (1982), Un Re in ascolto, sur un livret du compositeur d'après des textes d'Italo Calvino, Wystan Hugh Auden, Friedrich Einsiedel, Friedrich Wilhelm Gotter et William Shakespeare (1984), Outis, sur des textes de Dario Del Corno et du compositeur (1996), et Cronaca del luoguo, sur des textes de Talia Pecker Berio (1999), sont qualifiées d'« actions musicales ».

La musique de Berio possède une double richesse : la diversité des styles et la puissance de l'expression. À cette double richesse s'ajoute la spécificité d'une recherche formelle qui a toujours transcendé la pure spéculation intellectuelle. Farouchement indépendant et libre, luttant contre tous les dogmes, il a écrit dans Méditation sur un cheval de douze sons : « De même que, dans la vie quotidienne, la responsabilité de chaque homme commence avec la reconnaissance de la multiplicité des races humaines, des conditions, des besoins et des idéaux, de même, la conscience qu'a un compositeur de la pluralité de fonctions de ses propres outils forme la base de sa responsabilité. J'irai même jusqu'à dire que n'importe quelle tentative de codifier la réalité musicale en une sorte de grammaire d'imitation est une marque de fétichisme, qui partage avec le fascisme et le racisme la tendance à réduire des processus vivants en des objets étiquetés, immobiles, à s'occuper des formalités plutôt que de la substance » (1968, traduit dans Contrechamps, n0 1).

En multipliant les moyens instrumentaux, vocaux, techniques et dramaturgiques, Luciano Berio a ouvert l'œuvre musicale à un ensemble extrêmement vaste de problèmes qui étaient avant lui traditionnellement extérieurs à l'art de combiner les sons.

— Juliette GARRIGUES

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Écrit par

  • : musicologue, analyste, cheffe de chœur diplômée du Conservatoire national supérieur de musique de Paris, chargée de cours à Columbia University, New York (États-Unis)

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