BODARD LUCIEN (1914-1998)
Lucien Bodard est né en 1914 à Chongqing, dans la province du Sichouan. Il est le fils d'un diplomate français en poste en Chine. Durant dix ans, cette Chine encore infiniment tournée vers le passé, médiévale, grouillante, violente, constituera son seul décor. Ensuite, ce sera le départ pour la France et les études sanctionnées par un diplôme de sciences politiques. Lucien Bodard rejoint l'Afrique du Nord puis Londres en 1940, et entame en 1944 une carrière de journaliste au sein de la section presse-information du gouvernement provisoire.
En 1946, dans les colonnes de France-Illustration, il se fait remarquer en diagnostiquant comme inéluctable la décolonisation en Afrique du Nord. Deux ans plus tard, il intègre l'équipe du mythique France-Soir de Pierre Lazareff. Son activité de grand reporter va le mener sur les fronts les plus convulsifs de la deuxième moitié du xxe siècle : l'Indochine – où il sera correspondant de guerre de 1948 à 1954 –, puis Hong Kong, la Chine de Mao, l'Afrique du Nord, plus tard l'Amérique du Sud...
De ces pérégrinations naîtront des milliers d'articles faisant au jour le jour la chronique des conflits et, ultérieurement, des livres de reportages. Des écrits dont l'indépendance d'esprit vis-à-vis des idéologies alors dominantes lui vaudra des critiques, virulentes parfois, mais qui témoignent d'une grande clairvoyance historique et politique. C'est par exemple, en 1957, La Chine de la douleur, où il dénonce la terreur maoïste. C'est encore, entre 1963 et 1967, la trilogie sur la guerre d'Indochine, L'Enlisement, L'Humiliation, L'Aventure, qui impose définitivement son talent d'écrivain au grand souffle, en même temps qu'elle éveille la suspicion de ceux qui lui reprochent sa subjectivité, et le soupçonnent de mettre en scène le réel au lieu d'en rendre compte avec rigueur.
Un talent et une énergie de grand romancier, au service d'une activité de journaliste : là est l'ambiguïté de Lucien Bodard, l'origine de la difficulté qu'il y a à lui trouver une place sur l'échiquier littéraire, si ce n'est aux côtés d'Albert Londres ou de Joseph Kessel. Une confusion sensible en chaque point d'une activité romanesque, souvent inspirée de son enfance chinoise : Monsieur le Consul (1973), La Vallée des roses (1977), et aussi Anne-Marie, roman nourri du personnage fantasque et énigmatique de sa mère, qui lui vaudra de recevoir en 1981 le prix Goncourt. C'est encore la Chine qui l'a inspiré pour son ultime livre, paru quelques mois après sa mort : Le Chien de Mao, une biographie romancée de la veuve du dictateur.
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Écrit par
- Nathalie CROM
: responsable des pages littéraires du journal
La Croix
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