OULITSKAÏA LUDMILA (1943- )
Un des phénomènes marquants de la littérature russe des années 1990 est la floraison d’œuvres écrites par des femmes. Et l’une des plumes féminines les plus lues en Russie et à l’étranger est Ludmila Oulitskaïa. Née le 23 février 1943 à Davlekanovo (République de Bachkirie), où ses parents avaient été évacués pendant la Seconde Guerre mondiale, généticienne de formation, elle commence sa carrière dans un laboratoire de l’Académie des sciences, mais en est licenciée pour y avoir dactylographié des textes d’auteurs interdits. Événement décisif : elle se tourne alors vers sa passion de toujours, la littérature. De 1970 à 1982, elle est conseillère littéraire du théâtre juif de Moscou avant de se consacrer totalement à l’écriture. Ce sont d’abord des pièces de théâtre, des pièces radiophoniques et des scénarios, genres qu’elle abandonne rapidement au profit de la prose où se déploie pleinement son talent de conteuse. La notoriété lui viendra tardivement en Russie : elle ne commence à être publiée qu’à la toute fin du régime soviétique dans des revues littéraires (son premier livre sera une traduction en français d’un recueil de nouvelles, Les Pauvres Parents, paru en 1993). Mais son succès ne se démentira pas : elle a reçu en 2001 le prix Booker russe et en 2007 le prix Bolchaïa Kniga, deux des plus prestigieux prix littéraires russes, qui s’ajoutent à d’autres prix internationaux.
La sphère du privé
La prose russe écrite par des femmes dans les années 1980-1990 est le plus souvent centrée sur l’univers confiné du quotidien féminin – la maison, la famille, les enfants. L’explosion de cette prose de l’intimité marque l’aboutissement d’une évolution de la littérature soviétique amorcée à partir du « dégel », en 1953, lorsque la fiction commença à privilégier la sphère de l’individuel par rapport à celle du collectif.
La représentation de la vie privée est un élément central de l’œuvre d’Oulitskaïa. Dans ses nouvelles et romans, elle construit des destins, tisse des intrigues où les fils s’entremêlent habilement, donne de la chair à ses personnages : ce retour du romanesque engendre de grandes fresques et une véritable comédie humaine. L’écrivain recrée avec précision et selon les conventions d’un réalisme plutôt classique la facture et l’ambiance du passé, que ce soit le mode de vie étriqué des appartements communautaires ou les frasques de la bohème artistique. Sa galerie de portraits présente un ensemble très varié de profils psychologiques. Deux types complémentaires se détachent : les personnages rayonnants qui se donnent sans compter à l’existence et les personnages « réceptacles », qui les attirent et les accueillent, comme le héros de Sincèrement vôtre, Chourik (Iskrenne Vaš, Šurik, 2004), don juan malgré lui, ou Sonetchka, l’héroïne de la nouvelle éponyme (Sonečka, 1992), qui a valu à Ludmila Oulitskaïa le prix Médicis étranger en 1996. Ce personnage de femme dévouée s’inscrit dans la lignée des Sonia qui marquèrent la littérature russe : Sonia Marmeladova dans Crime et châtiment de Dostoïevski, la nièce d’OncleVania de Tchekhov et la cousine pauvre des Rostov dans Guerre et paixde Tolstoï. En quelque cent pages, toute la vie de l’héroïne et de son entourage est évoquée dans une écriture concise. Cette structure narrative qui fait du héros l’axe central autour duquel gravite toute une constellation de personnages est récurrente dans l’œuvre d’Oulitskaïa. On la trouve également dans Médée et ses enfants (Medeja i ee deti, 1996), où l’héroïne, descendante de Grecs dans la Crimée soviétique, est le personnage pivot d’une grande famille, ou encore dans Les Joyeuses Funérailles (Vesëlye pohorony, 1998), qui dépeint les derniers jours d’un peintre émigré à New York : toutes les femmes qui ont aimé le héros[...]
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Écrit par
- Hélène MÉLAT : maître de conférences en littérature et culture russes, Sorbonne université
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Média
Autres références
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- Écrit par Hélène MÉLAT
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RUSSIE (Arts et culture) - La littérature
- Écrit par Michel AUCOUTURIER , Marie-Christine AUTANT-MATHIEU , Hélène HENRY , Hélène MÉLAT et Georges NIVAT
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