BEETHOVEN LUDWIG VAN (1770-1827)
La musique à programme
Tout ce qui se présente de l'extérieur, Beethoven s'en empare pour créer, pour progresser. Mais le principe même de sa marche, la loi interne de son évolution ne lui sont dictés par rien. Le but qu'il poursuivit, et qu'il fut sans doute le premier musicien à poursuivre, tient en un mot : s'exprimer. « Ce qui suscite mes idées, ce sont des dispositions d'esprit[Stimmungen]qui s'expriment avec des mots chez le poète, et qui s'expriment chez moi par des sons, résonnant, bruissant, tempêtant, jusqu'à ce qu'enfin ils soient en moi de la musique. »
Escamotant l'évidence, une certaine critique essaie de discréditer certaines interprétations que Beethoven donnait à Schindler : celle sur « le Destin qui frappe à la porte » au début de la Cinquième Symphonie est sans doute la parole qu'on voudrait le plus anéantir. Mais, quelque dédain qu'on ait pour eux, les grands titres mis par Beethoven en tête d'une œuvre ou d'une partie d'œuvre sont plus difficiles à effacer : Pathétique, Malinconia, Héroïque, Pastorale, L'Adieu, Quartetto serioso, Chant d'action de grâces sacrée d'un convalescent, Résolution difficilement prise..., sans compter les annotations relatives à l'expression en marge de tant d'esquisses ou de versions définitives.
On pourrait objecter que de tels titres restent exceptionnels. Ce serait oublier le projet, sans cesse repris et toujours avorté, entre 1816 et 1827, d'une édition des œuvres complètes, dans laquelle Beethoven envisageait de donner toutes les explications voulues sur la signification de chaque œuvre, et même un titre à chaque morceau. Pour nous, la non-réalisation de ce projet constitue une perte considérable. Mais il est pernicieux de chercher à y suppléer par des inventions, si traditionnelles ou si ingénieuses qu'elles puissent être. L'usage courant finit par imposer l'emploi de titres absurdes comme le Clair de lune, L'Empereur, la Symphonie de la danse, ou À l'archiduc. D'autres constituent des contresens moins néfastes : L'Aurore ou l'Appassionata, le Quatuor des harpes ou le Quatuor héroïque. Tous ces titres apocryphes ont cependant le même défaut grave : imposer à l'auditeur une idée toute faite de l'œuvre, qui n'a en général rien de commun avec le sens que Beethoven lui donnait. Faute de connaître ce sens, il vaut mieux écouter l'œuvre. Wagner appelle la Septième Symphonie la Symphonie de la danse ; Romain Rolland l'appelle la Symphonie des forêts, un troisième y voit une émeute populaire. Que ne nous permettent-ils d'écouter Beethoven sans interposer entre lui et nous le prisme de leurs rêveries ?
Exprimer n'est pas décrire. « Expression du sentiment plutôt que peinture », dit le titre de la Pastorale, et Beethoven ajoute pour lui-même : « Tout spectacle perd à vouloir être reproduit trop fidèlement dans une composition musicale. » Une seule fois dans sa vie, il donnera dans le descriptif, et ce ne sera pas sa plus grande réussite : quand il met les deux armées en présence au début de La Bataille de Vittoria ! Même alors, il ne s'y tient pas longtemps, et il préfère exprimer la défaite de l'armée napoléonienne par la désagrégation progressive du thème de Malborough que par l'imitation des hurlements de la déroute.
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Écrit par
- Brigitte MASSIN : musicologue, journaliste, critique, écrivain
- Jean MASSIN : écrivain
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