WITTGENSTEIN LUDWIG (1889-1951)
Wittgenstein et les philosophes
La philosophie de Wittgenstein est assurément une philosophie ouverte, en ce qu'elle ne propose finalement aucun dogme, et pas même une méthode, mais reconnaît plusieurs méthodes « pareilles à différentes thérapeutiques » (Investigations philosophiques, paragr. 133). De ses rapports avec les grandes philosophies du passé on sait très peu de chose, et il semble que Wittgenstein n'ait pas eu grand commerce avec les philosophes, si ce n'est Schopenhauer et Platon, qu'il a lus. Sa conception d'une philosophie critique n'est pas sans évoquer Kant, bien que ce soit ici l'expression linguistique qui joue le rôle dévolu par Kant à la perception. Et l'univers du Tractatus, plutôt par le ton, par une certaine conception de la philosophie comme traitement et redressement d'une pensée malade, et par un certain sentiment de l'intemporalité du réel, que par le contenu des thèses, fait penser à Spinoza. Sans doute l'influence de Frege et de Russell a-t-elle été décisive pour la découverte des pouvoirs et des limites de la pensée logique rigoureuse. Un rapprochement de la méthode d'analyse de Wittgenstein avec la phénoménologie s'impose aussi, certes ; mais, alors que Husserl postule un parallélisme total des structures du noème et de celles des actes noétiques, Wittgenstein se défend explicitement de parvenir à décrire philosophiquement des actes et des processus de pensée, et il ne décrit pas davantage des essences au sens où l'entend Husserl.
Ainsi la philosophie de Wittgenstein demeure-t-elle profondément originale. Son influence s'est exercée tout d'abord par l'enseignement oral et le commerce personnel : « Faire la connaissance de Wittgenstein, dit Russell, a été l'une des aventures intellectuelles les plus excitantes de ma vie. » Elle s'étend à présent et devient de plus en plus évidente à mesure que sont relues ses deux œuvres achevées à la lumière des manuscrits progressivement publiés.
Il semble que les thèmes les plus actifs de cet héritage aient été les suivants : la distinction entre un langage décrivant les faits et les discours destinés à en élucider les règles ; l'atomisme logique ; la méthode d'analyse du langage ordinaire développée dans les Investigations philosophiques. Le néo-positivisme a retenu les deux premiers, l'école de la philosophie analytique, le troisième. Cependant, Wittgenstein s'est toujours défendu d'être rattaché à l'un ou l'autre groupe. Mais, par-delà les traditions et les écoles, on s'aperçoit que le philosophe n'a cessé de susciter des lecteurs de plus en plus attentifs ; et une œuvre ainsi centrée sur l'analyse critique des conditions de l'expression par des signes n'a pas fini sans doute d'être une source d'inspiration pour notre temps.
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Écrit par
- Jean-Pierre COMETTI : professeur honoraire des Universités
- Gilles Gaston GRANGER : professeur au Collège de France
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