LUGNÉ-POE AURÉLIEN-MARIE LUGNÉ dit (1869-1940)
Acteur et metteur en scène français, réputé pour avoir matérialisé sur la scène l'esthétique symboliste, Lugné-Poe a produit en réalité une œuvre théâtrale d'une grande diversité. Inlassable découvreur d'auteurs et de textes (Maeterlinck, Hauptmann, Ibsen, Strindberg, Verhaeren, Wilde, D'Annunzio, Synge, Jarry, Claudel, Crommelynck, Salacrou...), il a fait connaître un vaste répertoire étranger tout en encourageant les jeunes auteurs français. Lugné-Poe pensait la scène comme le lieu de toutes les expérimentations. C'est ainsi qu'après être passé par le naturalisme d'Antoine, il développa le jeu et la mise en scène symbolistes, explora l'hyperthéâtralité du théâtre d'Alfred Jarry, avant de se tourner vers un réalisme tempéré proche de celui de Jean Jullien. Ses mises en scène de Jean-Gabriel Borkman (1897) et de Rosmersholm (1898) d'Ibsen, ainsi que celles du théâtre de Claudel, furent les plus caractéristiques de cette dernière tendance. Personnalité caustique, provocatrice et paradoxale, Lugné-Poe pouvait railler ce qu'il aimait le plus, et montrait à la scène un réel talent d'acteur comique. Certaines de ses mises en scène souffraient d'un inachèvement qui leur donnait parfois l'apparence de l'improvisation. Sans avoir la dimension théorique et révolutionnaire de celle de Craig ou d'Appia, son œuvre reste l'une des plus inventives et productives de son époque. Elle trouve des prolongements esthétiques chez Copeau et les metteurs en scène du Cartel, ainsi que, plus près de nous, dans les mises en scène de Claude Régy ou de Robert Wilson.
Né à Paris en 1869, Lugné-Poe fonde le Cercle des Escholiers en 1887, alors qu'il est encore élève au lycée Condorcet. Peu de temps après, il entre au Conservatoire et au Théâtre libre d'Antoine, qu'il quittera en mars 1890 pour rejoindre le Théâtre d'art de Paul Fort et les peintres nabis. Après le coup d'éclat de Pelléas et Mélisande de Maeterlinck, en mai 1893, il transforme, avec l'aide de Camille Mauclair et d'Édouard Vuillard, le Théâtre d'art balbutiant en théâtre de l'Œuvre. Celui-ci mettra plus d'une centaine d'œuvres à son répertoire, privilégiant les auteurs scandinaves et particulièrement Ibsen.
Jusqu'en 1897, l'Œuvre se veut le temple du drame symboliste, l'équivalent de ce que représente pour les naturalistes le Théâtre-Libre. S'opposant à l'attachement de celui-ci à la matérialité de la vie comme à celle de la scène, Lugné-Poe projette de faire du théâtre une « œuvre d'art » de l'esprit. Laquelle, suscitant une émotion de pensée, doit être davantage porteuse d'idées et de poésie que d'actions, de conventions scéniques ou d'habiletés techniques. Proche de Mallarmé ou de Maeterlinck, pour lesquels l'absence de l'homme est indispensable à la réalisation de l'art, Lugné-Poe tente de faire oublier le corps charnel et vivant de l'acteur en inventant un jeu discret et monotone, entre somnambulisme et psalmodie, qui annonce la « surmarionnette » de Craig. Mais s'il met en avant son goût pour l'alchimie du verbe, la dramaturgie de la suggestion et le monde de la spiritualité, inspiré par la conception wagnérienne de la synthèse des arts, il s'intéresse tout autant à la scénographie, en faisant appel aux peintres de la nouvelle école : Bonnard, Vuillard, Denis, Toulouse-Lautrec... La mise en scène symboliste privilégie alors un décor non pas illustratif mais synthétique, conçu comme une « simplification ornementale qui complète l'illusion par des analogies de couleurs et de ligne avec le drame » (P. Quillard). Elle développe aussi de nouveaux arts de la scène, comme la pantomime, les ombres chinoises, les marionnettes ou le clown, qui nourriront[...]
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Écrit par
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