GHIRRI LUIGI (1943-1992)
La trame d'une carte géographique (Atlante-no 253, 1974), un sphinx pétrifié contemplant une mer d'huile (Capri, 1980), des touristes résignés à l'abri d'une paillote à la tombée de la nuit (Porto Recanati, 1984), deux parasols symétriquement inclinés sur une plage déserte (Cervia, 1989), les images en couleurs de Luigi Ghirri décrivent des scènes souvent anodines à la limite du sentiment de déjà-vu. Les paysages apparemment sans qualités sont légèrement surréels. Les rares personnages sont réduits à l'état d'ombres fantomatiques. Les portes sont désespérément closes ou béantes sur le vide. Cartographies, plans ou mappemondes apparaissent comme des leitmotiv. Fuyant l'instantané et les effets de style, Luigi Ghirri envisage la photographie comme un moyen global de comprendre le cosmos. Son regard de géomètre élabore des relations subtiles entre les objets et l'espace.
Né le 5 janvier 1943 à Scandiano, dans la province de Reggio Emilia, Luigi Ghirri poursuit des études techniques à Modène avant d'obtenir un diplôme de géomètre en 1962, métier qu'il exercera jusqu'en 1974. À partir de 1968, il entreprend des voyages en Italie et à l'étranger (Paris, Lucerne, Berne, Amsterdam, la Bretagne). En 1974, il ouvre un atelier d'art graphique avant de fonder avec des associés, en 1977, la maison d'édition Punto e virgola qui publiera Kodachrome (1970-1978). Il affirme avoir été fortement influencé par Walker Evans à partir de 1977 avec qui il partage le goût des cultures vernaculaires. En 1979, il expose des extraits de la série Petit Déjeuner sur l'herbe et Souvenirs d'Italie à la biennale de Venise. L'année suivante, il expose à la Light Gallery de New York une série de tirages en couleurs au titre éloquent : Nature morte et topographie-iconographie. À propos de son obsession des atlas, il déclare : « Le voyage sur une carte géographique, cher à bien des écrivains, est un des gestes mentaux les plus naturels présent en chacun de nous, depuis l'enfance. Les inévitables associations d'idées, les superpositions d'images, guident ensuite automatiquement la pensée. »
Jeux de miroirs, peintures murales illusionnistes, signes graphiques, cadres dans le cadre, perspectives tronquées sont autant de moyens de faire lâcher prise au spectateur. Mais ce surréalisme discret s'arrête aux portes du formalisme et du colorisme. Il utilise la couleur sans en faire un sujet en soi. En ce sens, il est l'un des pionniers de ce qu'on appellera aux États-Unis « The New Color » ou « The New Topographics ».
En 1982, Luigi Ghirri entame une collaboration avec la revue d'architecture Lotus International puis Domus, Gran Bazaar, Intyerni (Intérieurs), Ottagona (Octogone) et Arca. Il reçoit des commandes d'organismes publics et privés : sur invitation de la région Emilia-Romagna, il photographie des gares thermales ; pour le ministère français de la Culture, le château de Versailles ; pour le Touring Club italien, la région de Modène et pour le Groupe Riello, la plaine du Pô. Il signera une vingtaine d'ouvrages. Paysages façonnés par l'agriculture, l'urbanisme ou le tourisme, bâtiments dessinés et construits par le génie humain, Ghirri poursuit sa recherche sur les lieux mêmes de la création incarnée par Giorgio Morandi.
Avec ses photographies du cimetière de Modène, en 1983, Luigi Ghirri entreprend une collaboration étroite avec Aldo Rossi qui débouche sur des livres et des écrits ayant pour sujet l'architecture et sa représentation.
Présentée dans des musées prestigieux, son œuvre bénéficie d'une certaine reconnaissance mais peine à s'imposer au grand public. « Mon désir, déclare-t-il, a toujours été celui de travailler avec la photographie à 360 degrés, sans limitations [...]. Mais au-delà de ce credo d'avoir appris[...]
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Écrit par
- Noël BOURCIER : graphiste, photographe, enseignant en histoire de la photographie, diplômé de l'École nationale de la photographie (Arles)
Classification
Autres références
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