LUIGI GHIRRI. CARTES ET TERRITOIRES (exposition)
Le photographe et théoricien de la photographie italien Luigi Ghirri (1943-1992) fut un précurseur à plus d’un titre. Au Jeu de Paume et sous le commissariat de James Lingwood, Luigi Ghirri, Cartes et territoires (12 février-2 juin 2019) en témoigne, qui reprend Vera Fotografia, une exposition manifeste présentée en 1979 à l’université de Parme et regroupant quatorze projets éclairants sur les recherches menées par le photographe au cours des années 1970. Un parti pris qui a le mérite de rappeler que, dès le départ, Luigi Ghirri pense son travail en termes de séries, pratique la réappropriation des images vernaculaires, développant ainsi une réflexion sur le statut de la photographie et l’impact de son omniprésence sur la société. Une démarche qui relie ce grand connaisseur de l’art international au pop art et à l’art conceptuel américains.
Un photographe du dimanche
D’emblée, Luigi Ghirri lie consciemment sa pratique à celle du photographe du dimanche, notamment en adoptant la couleur et le tirage standard. Avec sa gamme chromatique pastel, il se démarque de la pratique professionnelle qui se conçoit alors surtout en noir et blanc, et fait figure de précurseur à l’instar de William Eggleston ou de Stephen Shore qui contribuent à la reconnaissance de la couleur outre-Atlantique. Il se distingue également des préoccupations des photographes « auteurs » en adoptant une position esthétique radicale : celle de résister à l’affirmation d’un style propre. « Je n’ai jamais cherché à faire des photos créatives, confiait-il, mais des images qui ont une relation avec la fantaisie, le rêve, les illusions, les problèmes formels. »
Géomètre jusqu’en 1973, Luigi Ghirri n’a nul besoin d’exotisme et photographie essentiellement à Modène et en Émilie-Romagne où il habite. Dans différentes séries – Periodoiniziale (Photographies de la première période ;1970-1973) ; Paesaggi di cartone (Paysages de carton ; 1970-1973) ;Kodachrome(1970-1978) ; Italiaailati(L’Italie de part et d’autre ;1971-1979) –, il dresse d’abord une topographie du quotidien. Mobilier urbain, panneaux de signalisation, affiches publicitaires, graffitis…, autant de signes qui fondent la nouvelle identité d’une Italie en pleine expansion. Collazionesull’erba(Déjeuner sur l’herbe, 1971-1974) épingle les simulacres de natureopérés par ses congénères dans l’agencement des maisons : stores vénitiens géométrisant avec les façades de brique, symétrie de jardinières, oiseaux de faïence, ifs taillés au cordeau.
Dans le débat que commenta Umberto Eco entre les « apocalyptiques », gardiens d’une culture élitiste, et les « intégrés », fascinés par la culture de masse, Luigi Ghirri adopte une troisième voie. Il considère le kitsch, la banalité et les différentes formes de sous-cultures comme autant de matériaux pour mener à bien de nouvelles réflexions sur la sémiologie de l’image.
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Écrit par
- Armelle CANITROT : journaliste et critique photo
Classification
Média