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BUÑUEL LUIS (1900-1983)

Tous ceux qui ont connu Luis Buñuel, dans le travail ou l'amitié, s'accordent sur un point : c'était un homme secret. Peu de cinéastes ont su se rendre insaisissables comme lui. Quand il consentait à parler de sa vie, de ses rencontres, de ses affinités ou de ses haines, de ses engagements ou de ses goûts, c'était toujours sur le mode de la blague. Cet homme d'images se méfiait des mots. Il savait trop bien qu'on ne peut parler sans se contredire ni éclairer les aspects opposés de toute chose, de toute expérience, de tout sentiment.

Du Chien andalou (1928) à Cet obscur objet du désir (1977), l'œuvre cinématographique de Buñuel est un lieu de contradictions, comme sa vie même. Disciple de Sade, surréaliste, il a œuvré pour manifester que le réel est déchirure. L'image qui « ouvre » son œuvre, l'œil tranché par un rasoir, inoubliable premier plan du Chien andalou, est véritablement le motif exploré, développé dans tous ses films : comment survivre à nos contradictions ? Pourquoi, voulant faire le bien, l'homme (cet être « criminel dans la vertu et vertueux dans le crime », disait Sade) produit-il si souvent le mal ?

Buñuel peint la révolte absolue, la violence et l'éros, mais se révèle dans la vie incapable de cruauté, plein de douceur et de tendresse. Il fait profession d'athéisme et il a le culte des cérémonies religieuses, admire les vies de saints, se passionne pour la théologie. L'auteur de L'Âge d'or et du Charme discret de la bourgeoisie aura traversé ce siècle des idéologies en étant le moins idéologue des cinéastes. « Le dieu créé par l'homme, dit-il à son ami Max Aub après le tournage de La Voie lactée, c'est l'esprit du mal. » Au cœur des conflits, il nous offre le visage de Nazarin, ce prêtre don Quichotte qui pleure parce qu'il doute.

Fidélité au surréalisme

Luis Buñuel est né à Calanda, province de Teruel, le 22 février 1900. Il est l'aîné de sept enfants. Son père est libéral, sa mère catholique. Il fréquente le collège des jésuites à Saragosse, de huit à quinze ans, puis le lycée. À cette époque, il lit Darwin et perd la foi, mais, comme le héros de Tristana, don Lope, il aura toute sa vie des amis prêtres, religieux ou religieuses. Étudiant à Madrid, il rencontre Federico García Lorca et Salvador Dalí. Avec ce dernier, il écrira le scénario du Chien andalou. Le mariage de Dalí avec Gala mettra fin à leur amitié en 1930, alors que Buñuel envisageait une nouvelle collaboration pour L'Âge d'or. En 1925, Buñuel vient à Paris. Bien qu'il trouve le film très mauvais, la découverte des Trois Lumières de Fritz Lang lui donne envie de faire du cinéma. Il apprend le métier avec Jean Epstein, se lie au groupe surréaliste, Aragon, Breton, Soupault, Man Ray, Crevel, Sadoul... En 1928, avec l'argent de sa mère (Buñuel avait perdu son père en 1923), il tourne en quinze jours Un chien andalou, convaincu qu'il ne ferait jamais plus de cinéma. Les surréalistes lancent le film. Cocteau, étranger au groupe, ne cache pas son admiration. Il présente Buñuel au vicomte de Noailles, qui finance L'Âge d'or. Le film est interdit par la censure, décision qui ne sera officiellement levée qu'en 1982, pour une projection au festival de Cannes et à la télévision française, un an avant la mort de Buñuel.

En 1932, après un bref voyage, décevant, à Hollywood, Buñuel tourne Las Hurdes, un « documentaire » inspiré par une étude de géographie humaine : dans une région d'Espagne, d'une extrême pauvreté, il montre la vie des hommes et des bêtes, les gestes du travail et de la fête, la résignation, le courage et la mort. Interdit en Espagne, Las Hurdes répond à L'Âge d'or, comme le réel à l'imaginaire.

<it>Los Olvidados</it>, de L. Buñuel - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Los Olvidados, de L. Buñuel

La carrière de Buñuel semble finie. L'Espagne,[...]

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, professeur à l'université de Paris-V-René-Descartes, critique de cinéma

Classification

Médias

<it>Los Olvidados</it>, de L. Buñuel - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Los Olvidados, de L. Buñuel

<it>Belle de jour</it>, L. Buñuel - crédits : MEPL / Bridgeman Images

Belle de jour, L. Buñuel

Jeanne Moreau - crédits : Speva Films/ Cine Alliances/ Filmsonor/ Sunset Boulevard/ Corbis/ Getty Images

Jeanne Moreau

Autres références

  • L'ÂGE D'OR, film de Luis Buñuel

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    • 873 mots

    Luis Buñuel (1900-1983) rêve qu'un nuage effilé coupe la lune, comme un rasoir tranche un œil ; Salvador Dalí, que des fourmis envahissent une main. Ils réalisent Un chien andalou (1928), avec l'argent que leur donne la mère de Buñuel. Coup d'essai, coup d'éclat : les surréalistes, alertés...

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