Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

GÓNGORA Y ARGOTE LUIS DE (1561-1627)

Le « Polyphème » et les « Solitudes »

C'est en 1612 que Góngora écrivit la Fable de Polyphème et Galatée, poème mythologique de 504 vers, composé en octavas reales (strophes de huit vers hendécasyllabes rimés ABABABCC). L'argument du poème, souvent adopté par les prédécesseurs de Góngora, tant italiens qu'espagnols, est tiré des Métamorphoses d' Ovide (chant XIII, vers 738-897). À l'image de l'archétype latin, Góngora relate la légende du Cyclope amoureux de Galatée ; Polyphème, dédaigné par la nymphe, se venge d'elle en fracassant la tête de son malheureux amant, Acis, dont le sang répandu se change en source claire. Mais Góngora renouvelle à la fois la thématique et l'expression de la légende antique. Alors que la composition d'Ovide était centrée sur le Cyclope, sa déclaration d'amour, sa jalousie et sa vengeance, Góngora se plaît à présenter en un tableau somptueux le paysage d'une Sicile toute brûlante de passion pour Galatée, la rencontre de la nymphe avec Acis, le trouble de la jeune fille à l'endroit de l'adolescent, leurs amours enfin, étreintes voluptueuses que surprend Polyphème. Il n'est pas jusqu'au Cyclope dont Góngora ne remodèle la figure, faisant du monstre repoussant et presque ridicule d'Ovide l'image même de l'amant dédaigné dont les plaintes et le chant sans écho forment un véritable lamento bárbaro, cime du poème.

Si éblouissant qu'apparaisse le Polyphème, il semble avoir été d'abord pour Góngora une « ouverture » aux thèmes et aux variations des Solitudes. Comme on l'a vu, Góngora, après avoir composé la première Solitude, longue de 1 091 vers, ne mena pas jusqu'à son terme la seconde, interrompue au vers 979. Les deux poèmes, d'une structure et d'une métrique plus souples que le Polyphème, sont écrits en forme de silvas, libres combinaisons de vers hendécasyllabes et heptasyllabes, le plus souvent assonancés. L'« argument » des Solitudes est des plus réduits. Un jeune naufragé est recueilli par des chevriers qui lui offrent un gîte. Après avoir passé la nuit auprès d'eux, il poursuit sa marche dans la campagne, rencontre un groupe de montagnards, garçons et filles, qui se rendent à une noce. Le naufragé se joint à leur troupe ; accueillis dans le village des jeunes fiancés par des fêtes, tous y font halte. Le lendemain, le voyageur assiste à la cérémonie nuptiale, au banquet et aux réjouissances jusqu'au soir. La seconde Solitude débute au lendemain du jour des noces. Le voyageur quitte le village, accompagne deux pêcheurs dans leur barque, se mêle à leurs travaux, les suit enfin dans l'île où vit l'humble famille. Le matin venu, il contemple une partie de chasse qui se déroule sur la terre ferme. Ici prend fin le poème.

La présence du naufragé est, de toute évidence, le seul fil narratif des Solitudes, qui se présentent plutôt comme une suite de scènes pastorales, champêtres ou villageoises, entrecoupées de discours sur les voyages en mer, l'ambition démesurée des hommes, les découvertes maritimes, etc. Mais le véritable propos de Góngora est ailleurs. Délaissant tout récit fabuleux, ne s'accordant qu'une mince trame narrative, Góngora s'est donné ici pour but un poème dont le déroulement même est la seule aventure, et qui retient le lecteur par l'extraordinaire transposition verbale de l'immédiat, alchimie du mot, de la phrase et du rythme, étonnant exemple de ce qu'il est convenu d'appeler « poésie pure ».

Ces grandes compositions qui ont fait la gloire de Góngora ne peuvent toutefois laisser dans l'ombre les autres genres où s'est exercé le génie du poète. Outre deux comédies, La Constance d'Isabelle, Le Docteur Carlino (inachevée), il faut mentionner quelque[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, maître assistant à l'université de Paris-IV, écrivain

Classification

Autres références

  • ALONSO DÁMASO (1898-1990)

    • Écrit par
    • 1 054 mots

    Poète espagnol, Alonso appartient à la fameuse « génération de 1927 » qui, autour de Federico García Lorca, Jorge Guillén, Vicente Aleixandre, regroupe notamment Pedro Salinas, Rafael Alberti, Emilio Prados, Luis Cernuda, Manuel Altolaguirre, Gerardo Diego. Alonso est aussi l'un des critiques...

  • CULTISME ou CULTÉRANISME, littérature

    • Écrit par
    • 388 mots

    Le mot espagnol correspondant est culteranismo, créé au début du xviie siècle, sur le modèle de luteranismo (de Luther). Il vaudrait mieux dire en français cultéranisme que cultisme qui renvoie à cultismo et désigne un mot savant, échappant aux lois phonétiques ordinaires. Le terme cultéranisme,...

  • ESPAGNE (Arts et culture) - La littérature

    • Écrit par , et
    • 13 749 mots
    • 4 médias
    Luis de Góngora (1561-1627) a chanté sur le ton populaire avec un immense bonheur ; le même bonheur triomphe dans son œuvre savante et difficile. C'est un artiste d'une éblouissante virtuosité. La flexibilité et la richesse de la langue espagnole l'ont servi en ce sens. Du côté hermétique de son œuvre,...
  • ROMANCERO

    • Écrit par
    • 2 862 mots
    ... des poètes « mahométans » détourne le goût public vers une autre forme d'évasion ; on voit naître alors la vogue des romances pastoraux, tandis qu'un autre jeune maître met en scène des histoires de captifs et des exploits espagnols en Afrique : L. de Góngora. Une douzaine d'anthologies...