DOMINGUÍN LUIS-MIGUEL (1925-1996)
Luis Miguel Dominguín fut à coup sûr l'un des plus grands toreros du xxe siècle. Ceux-là mêmes qui jugeaient son style froid, son art plus dominateur que sensible, son personnage trop théâtral ne pouvaient nier son incomparable maîtrise dans l'arène, la richesse de sa personnalité, et le lustre que lui conférèrent son amitié pour Picasso, ses amours romanesques et quelques écrits ou propos judicieux.
Né à Madrid le 9 décembre 1925, Luis Miguel González Lucas, fils d'un torero assez obscur qui lui légua son pseudonyme, comme à ses deux autres fils, est sacré matador de toros en 1944 et ne fait ses adieux que trente ans plus tard, à Quito. Il a entre-temps connu tous les triomphes, été souvent reçu par le général Franco – bien que son frère Domingo fût un membre notoire du Parti communiste espagnol –, fréquenté Jean Cocteau et Pablo Picasso, séduit quelques grandes stars comme Ava Gardner, épousé l'actrice italienne Lucia Bosè, et marqué la tauromachie de son empreinte.
Performance d'autant plus méritoire que sa carrière s'inscrit entre celles de deux maestros incomparables, Manolete, dont la mort fit de Luis Miguel le chef de file de la torería des années 1950, et Antonio Ordóñez qui fit beaucoup pour révéler, par son propre génie, les limites (très relatives) de celui de Dominguín.
Les deux épisodes « successoraux » encadrent et définissent si bien sa majestueuse carrière, ce qu'on pourrait appeler son époque, qu'il convient de les évoquer avec plus de précision.
En août 1947, Manolete, au comble de la gloire, affronte des taureaux de Miura dans la plaza de Linares au côté du jeune Dominguín qui, à vingt-deux ans, ne se prive pas de déclarer qu'il ambitionne de détrôner « le calife ». Manolete prend des risques énormes face à un taureau, Islero, qui le tue. L'émotion que provoque cette mort est immense – et certains en rendent responsable le jeune rival du maestro, qui va désormais proclamant qu'il est le numero uno. Il l'est sans doute. Mais cette jactance lui aliène bien des sympathies, et beaucoup attendent dès lors l'avènement d'un nouveau dauphin.
En 1959, le Madrilène, encore sur les sommets après douze ans de règne, accepte le défi que lui lance tout au long de l'été Antonio Ordóñez, fils du grand torero Niño de la Palma, natif de Ronda, berceau de la tauromachie, et qui a depuis peu épousé sa sœur Carmen. Déjà le jeune Andalou, doté de la sensibilité envoûtante qui manque à son aîné, s'est hissé à son rang. Va-t-il le détrôner ? D'outre-Atlantique accourt, pour un pareil tournoi, Ernest Hemingway, qui décide de consacrer à cette compétition sur les cimes un livre-reportage qu'il intitulera Été sanglant.
L'auteur de Mort dans l'après-midi accorde la palme à Ordóñez. La plupart des spécialistes donnent aujourd'hui raison au grand romancier : le toreo du fils de Niño de la Palma avait une vibration, une « sonorité » poétique à laquelle ne pouvait prétendre celui du superbe Castillan – que jamais ne visita le duende, ce mystérieux démon sans lequel il n'est pas d'exaltation totale.
Mais ce par quoi Luis Miguel Dominguín l'emporte dans le souvenir des aficionados des années 1950 et 1960, c'est par la maîtrise absolue de toutes les phases de la corrida, de toutes les suertes – de la capa aux banderilles, de la muleta à l'estocade. On le vit même un jour, par bravade, enfourcher le cheval d'un picador et affronter le taureau pique en main. Il était par excellence le torero largo, celui qui dispose du plus large répertoire. Et, en ce sens, le maestro des maestros.
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Écrit par
- Jean LACOUTURE : journaliste, écrivain
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