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LULU, Frank Wedekind Fiche de lecture

Théâtre, cirque, cabaret

Dans le prologue de L’Esprit de la terre, un dompteur présente Lulu comme « une bête sauvage et superbe ». Il semble qu’elle dévore et conduise à leur perte tous ceux qui tombent sous son charme. Pourtant Lulu est tout autant victime que bourreau, et elle n’est pas l’archétype d’une « femme fatale ». Est-elle candide ou consciente de l’attrait qu’elle exerce ? Femme-enfant ou séductrice experte ? Aimante ou manipulatrice ? Sophistiquée ou naturelle ? Elle reste profondément énigmatique, ce qui explique en partie la fascination qu’elle exerce : rappelons que l’Esprit de la terre est, dans le Faustde Goethe, le grand mystère de l’univers auquel le héros n’aura jamais accès. Lulu ne cherche pas à plaire, simplement à être fidèle à elle-même, et elle reproche aux hommes de projeter sur elle leurs médiocres fantasmes.

Wedekind met en évidence les contradictions entre la morale bourgeoise de cette fin de siècle et les aspirations profondes, les pulsions et les désirs sexuels de l’individu. « Il s’agissait pour moi d’éliminer de la représentation toutes les notions qui ne résistent pas à un examen logique, comme amour, fidélité, gratitude. Les deux personnages principaux, Schön et Lulu, n’ont d’ailleurs rien à voir avec ces notions, elle, parce qu’elle n’a joui d’aucune éducation, lui, parce qu’il est au-delà de toute éducation », écrit-il. Dans sa volonté d’affirmer son identité en tant que femme, Lulu se place au-dessus des concepts moraux traditionnels qui, pour elle, n’ont pas de sens. Mais Wedekind ne s’intéresse pas uniquement au destin individuel de ses personnages. Il peint une société pervertie qui repose sur l’argent. Personne n’est intègre dans cet univers où seules comptent les apparences : un thème central, que Wedekind présente sous de multiples variations dans toute son œuvre.

La pièce fait écho à Nana, le roman d’Émile Zola paru quelques années auparavant. Mais Wedekind se situe à l’opposé du naturalisme. Lui est davantage influencé par Nietzsche – dans La Tragédie-monstre les allusions à Ainsi parlait Zarathoustra sont nombreuses – que par Hauptmann ou Ibsen, et casse tout effet de vérité dans sa pièce en recourant aux formes les plus variées des arts de la scène : cabaret, revue, cirque, mélodrame, pantomime, drame en stations... Par son sujet et par le traitement des personnages féminins et masculins, Lulu est, avec Hedda Gabler d’Ibsen ou Mademoiselle Julie de Strindberg, une des pièces de la fin du xixe siècle qui a contribué à modifier radicalement l’image et la représentation de la femme au théâtre.

— Jean-Louis BESSON

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Écrit par

  • : professeur au département des arts du spectacle à l'université de Paris-Ouest-Nanterre-la Défense, traducteur, dramaturge

Classification

Média

<em>Lulu</em> de F. Wedekind, mise en scène de Robert Wilson - crédits : Lieberenz/ ullstein bild/ Getty Images

Lulu de F. Wedekind, mise en scène de Robert Wilson

Autres références

  • LULU (mise en scène S. Braunschweig)

    • Écrit par
    • 941 mots

    Elle est la femme fatale, beauté infernale et vampire. Maîtresse autant qu'amante, menant les hommes à leur perte quand ils croient la conduire. Dévoreuse d'âmes, croqueuse de fortunes. Inatteignable. Inaccessible. Emportée dans une course folle au sexe et à l'argent jusqu'à l'instant de l'inévitable...