LUMIÈRE & TÉNÈBRES
L'opposition lumière-ténèbres constitue un symbole universel. Pour en esquisser l'enjeu symbolique, on peut introduire trois grandes acceptions de la lumière sur le plan de l'imaginaire : la lumière-séparation, la lumière-orientation, la lumière-transformation. Ces trois aspects de la lumière comme symbole se définissent par rapport à trois altérités ou trois formes de ténèbres, soit, respectivement : l'abîme ; l'obscurité ; l'ombre et l'opacité. Lumière-séparation et abîme s'opposent dans une symbolique de la création. Lumière-orientation et obscurité structurent la symbolique de la connaissance. La lumière-transformation se heurte à une double altérité : s'opposant à l'opacité, elle est le symbole de la manifestation, se confrontant à l'ombre, elle devient le symbole de la purification (catharsis).
La dimension proprement démiurgique de cette opposition se retrouve à la racine de toutes les grandes cosmogonies. Du sein d'un abîme préalable (chaos, tehōm, tōhū-bōhū), sans fond, sans forme, va brusquement émerger l'ordre, c'est-à-dire la séparation-archétype originelle. Deux principes opposés sont ainsi différenciés : la lumière et les ténèbres. Trois séparations démiurgiques vont en procéder. Elles engendrent le cosmos dans sa totalité. Une première séparation opère la création des grandes oppositions cosmogoniques fondamentales : l'avant et l'après, le haut et le bas, la nuit et le jour. Elle correspond à la croisée horizontale et verticale du ciel et de la terre. Il s'agit du symbolisme lié à la lumière-répartition. Celle-ci déploie l'intermonde où vont jouer les forces fécondantes ouraniennes et les forces matricielles chtoniennes. La deuxième séparation est liée à la genèse de la vie. Elle joue sur les variations régulières nuit-jour qui déterminent les saisons. Création des cycles de mort et de renaissance, de lumière croissante et décroissante entre solstice d'hiver et solstice d'été. Cette séparation règle donc le jeu d'équilibre et de conflit entre eau et feu. Lui correspondent tous les symboles de la lumière-fécondation : lumière souterraine et psychopompe d'Anubis, « soleil vert » de l'émeraude qui est sang et fécondité chez les Mayas comme dans le symbole du Graal, soleil chtonien comme dieu-grain qui meurt à l'automne et ressuscite au printemps, etc. La troisième séparation cosmogonique a lieu entre zénith et nadir. Au-dessus de la fertilité végétale et de l'âme lunaire et aquatique se différencie le symbolisme de l'esprit et de la lumière-illumination. Ce symbolisme oppose les images ascensionnelles de l'air et du vent aux images de la pesanteur de la terre. Au soleil terrestre et à ses cycles de fécondation se surordonne la permanence du soleil céleste, porteur de la clarté de l'intellect — symbolisée par la lumière éclatante de la foudre.
La dimension spécifique de la lumière-orientation se donne à travers l'image-archétype du chemin. Chemin ascendant peuplé d'images lumineuses, aériennes, portant allégresse et éveil ; chemin descendant jalonné d'images sombres, étouffantes, lourdes de toutes les peurs et de tous les tourments. Symbole d'un combat éternellement recommencé entre l'élan spirituel vers la lumière et l'inertie matérielle qui fait régresser dans les obscurités de l'âme. Toutes les gnoses reposent sur ce conflit latent. D'une part règne le constat effrayant de l'obscurité du vécu de l'âme — « Sauve-moi de la matière et des ténèbres », supplie la Pistis Sophia. D'autre part lui répond la lueur d'espoir née de ce constat même — universellement, l'étoile est l'image symbolique de la lumière salvatrice. Dans la nuit de l'âme, seule brille l'étoile-guide (étoile[...]
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Écrit par
- Alain DELAUNAY : chercheur au Collège international de philosophie
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