LUMIÈRES
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Les Lumières hors de leur temps
Si l'émigration dénonce, non sans ambiguïté, cette influence néfaste sur le cours de l'histoire, à la façon des héros du roman de Sénac de Meilhan, L'Émigré (1797), elle commence à substituer au xviiie siècle des Lumières une vision moins idéologique, plus politique, mais enveloppée de la célèbre « douceur de vivre » de l'Ancien Régime. Plus tard, la Restauration focalise le débat sur la Révolution et la Terreur, tandis que l'émergence de la « question sociale » oblige assez vite à considérer en d'autres termes les Lumières et leur principe d'universalité, un peu à la façon du neveu de Rameau, qui reproche au philosophe d'oublier que l'homme vit surtout de pain et pas seulement de vertu. Rien d'étonnant dès lors à ce que le Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle de Pierre Larousse, dont on connaît les convictions républicaines et laïques, fasse si peu de place aux Lumières. Il ne propose pas une entrée autonome « Lumières » et se contente de deux références à ce pluriel dans le corps de l'article « Lumière ». L'une est intéressante : « Instruction du peuple : ne s'emploie guère qu'au pluriel », avec comme phrase exemple : « La nature a indissolublement uni entre eux les progrès des Lumières et ceux de la liberté » (Condorcet). Mais on sera surpris qu'une phrase de Voltaire – « Il y a beaucoup de gens que trop d'esprit gâte, qui voient mal les choses à force de lumière » – serve à illustrer une banale définition du mot lumière, et que la notice s'achève par cette phrase de Madame de Sévigné : « Notre Saint Évêque est une des plus brillantes Lumières de l'Église. »
Rousseau contre Voltaire
Un tel article montre que l'utilisation des Lumières dans le débat idéologique du siècle n'est pas encore chose acquise. En 1878, la célébration du premier centenaire de la mort de Voltaire et de Rousseau illustre les hésitations et les limites d'un usage militant. Voltaire est exalté pour son apologie de la tolérance, son anticléricalisme, son engagement au service de la justice. La franc-maçonnerie, majoritaire au conseil municipal de Paris, en accord avec la Société des gens de lettres, organise l'hommage. On en retiendra le discours de Victor Hugo qui unit leçon évangélique et message philosophique, et la levée de bouclier de la droite monarchiste, avec monseigneur Dupanloup, qui dénonce en Voltaire l'athée, le « Prussien », et condamne l'effet corrupteur de ces fausses Lumières, auxquelles il oppose la simple et courageuse Jeanne d'Arc. Une fois encore, la commémoration sépare Voltaire de Rousseau, que fêtent les anciens communards autour de Louis Blanc. Rousseau incarne alors les Lumières du petit peuple, des pauvres et des humbles. Son rejet par la IIIe République leur apparaît comme la preuve de la vérité de sa démarche et en fait le symbole d'une minorité qui se cherche en ces lendemains amers de la Commune.
De la tolérance à la défense des droits de l'homme
Cette division des Lumières entre un centre-gauche modéré et une extrême gauche révolutionnaire s'illustre dans les débats sur les Lumières qui agitent le milieu marxiste à la fin du xixe siècle. Si la tentation est grande d'établir une filiation légitimatrice de la contestation, des millénaristes aux socialistes guesdistes, des résistances se manifestent pour refuser l'héritage bourgeois. De son côté, Anatole France tentera littérairement de réconcilier l'hédonisme lié aux Lumières, un goût bibelotier hérité des frères Goncourt et son engagement dans les luttes sociales.
À partir des années 1930, les Lumières sont revendiquées par la gauche et l'extrême gauche. La social démocratie exalte des Lumières hostiles à l'Église,[...]
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Écrit par
- Jean Marie GOULEMOT : professeur émérite de l'université de Tours, Institut universitaire de France
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