LUMIÈRES
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Fondements des Lumières
Ces déconstructions et reconstructions peuvent donner l'impression de laisser échapper l'essentiel : ce que Kant, au-delà des mots d'ordre et des prises de position, définit comme un usage adulte de l'esprit humain. Tentons d'en esquisser les modalités.
Une anti-métaphysique ?
Pour définir la « philosophie des Lumières » on avance toujours leur rejet de la métaphysique, réclamé par Voltaire. Rien n'est plus vrai. Mais une telle affirmation risque de conduire à confondre ici cause et conséquence. Ce rejet de la métaphysique, qui trouve ses prémices dans le Dictionnaire historique et critique de Pierre Bayle (1696) et dans les Essais sur l'entendement humain de John Locke (1690), possède des raisons que le xviiie siècle ne cesse de rappeler : notamment le refus de l'intolérance, du fanatisme que le débat sur Dieu, l'âme, le salut entraînent nécessairement. Les Lumières ne rejettent pas tant la métaphysique que le statut qu'elle usurpe dès lors qu'elle prétend accéder à des vérités démontrables et donc susceptibles d'une acceptation universelle. Le Micromégas de Voltaire (1752) oppose le désaccord des métaphysiciens prêts à en découdre sur la définition de l'âme à l'unanimité des mathématiciens pour qui deux et deux font toujours quatre. Les Lumières postulent la marginalisation démystifiante des savoirs (ou prétendus tels) qui relèvent de la foi, de l'adhésion irraisonnée ou de l'intuition. Elle peut aboutir à leur rejet ou à la conscience de leur relativisme et en impose un usage strictement privé.
Le quadrillage du monde
De fait, les Lumières impliquent une géographie des savoirs possibles. Voltaire explique clairement dès les Lettres philosophiques, qu'on ne peut définir l'âme ou Dieu. Il voit même dans l'excès métaphysique une espèce de péché d'orgueil de l'homme. Il faut reconnaître des limites à la connaissance. Mais ces domaines de l'inconnaissable une fois établis, il n'existe pas de savoirs interdits. Le désir de comprendre et d'expliquer est conçu comme des devoirs. Curiosité et doute vont de pair. Le questionnement incessant du monde, l'extension infinie des savoirs pourraient définir à eux seuls la dynamique des Lumières. Elle touche aussi bien la chimie, l'anthropologie ou tel perfectionnement de la cartographie, du calcul des longitudes, des mathématiques, des sciences de la vie ou de la physique. Pour échapper au vertige qui naît de la découverte incessante de lieux inconnus, d'organisations sociales et politiques autres, de coutumes et de pratiques différentes, de formes insoupçonnées de la vie, d'étrangetés de toute nature, il faut classer, ordonner, expliquer et comprendre. Montesquieu affirme dans la préface de l'Esprit des lois : « J'ai d'abord examiné les hommes, et j'ai cru que, dans cette infinie diversité des lois et des mœurs, ils n'étaient pas uniquement conduits par leurs fantaisies. J'ai posé les principes, et j'ai vu les cas particuliers s'y plier comme d'eux-mêmes, les histoires des nations n'en être que les suites, et chaque loi particulière liée à une autre loi, ou dépendre d'une autre plus générale. »
Les Lumières réclament donc l'observation systématique du social et du vivant, des diverses formes d'organisation politique comme des multiples espèces qui peuplent la nature. Exploratrices, voyageuses, taxinomiques et explicatives, elles traduisent la réalité en tableaux et catalogues. Le quadrillage du monde, le recul de ses frontières, le tableau des mœurs, le relevé botanique, le parcours historique, tiennent à leur nature. Toutes ces démarches renvoient à la dynamique du savoir qui les fonde et les anime. Elles représentent un effort inouï mais nécessaire de connaissance[...]
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Écrit par
- Jean Marie GOULEMOT : professeur émérite de l'université de Tours, Institut universitaire de France
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