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LUMIÈRES

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Mises en cause, problèmes et questions

L'histoire du xxe siècle a mis à mal le bel optimisme kantien sur la maturité réflexive enfin acquise par une humanité libérée de son aliénation, devenue libre de penser par elle-même et d'user sans limites de sa raison. Jamais l'aliénation causée par les idéologies totalitaires ou les fondamentalismes n'a été aussi présente. Pour certains, cette occultation des Lumières tient aux Lumières elles-mêmes. Les membres de l'école de Francfort – Adorno et Horkheimer dans leur Dialectique de la raison, notamment – y voient même l'origine de la barbarie qui a dévasté le xxe siècle. L'homme universel et abstrait, le recours absolu à la raison qu'elles postulent ont indirectement permis la déshumanisation totalitaire. À vouloir oublier la part d'ombre qui habite l'homme, à ignorer les déterminations économiques et sociales qu'il subit, on finit par faire de lui la victime désignée des faux rationalismes. Et le nazisme ne fut-il pas une abstraction et une sérialisation de l'homme poussées à la limite ?

La psychanalyse conduit à douter du rôle imparti à la raison par les Lumières, même si elle partage avec elles la volonté de comprendre et de dépasser les apparences, d'aller au cœur des choses. En reconnaissant à l'homme sa part de mystère et d'ombre, en insistant sur les ruses de la raison, en soupçonnant la croyance au progrès d'être un leurre (Freud dans Malaise dans la civilisation), la psychanalyse rompt avec une vision comptable du savoir et avec l'optimisme des Lumières. Au Voltaire « dernier philosophe heureux », ainsi que le définissait Roland Barthes, elle préfère les noirceurs sadiennes et le doute qui très tôt s'insinue dans son histoire quant à l'évidente clarté de la philosophie. La psychanalyse non seulement s'interroge sur l'anthropologie des Lumières, mais elle propose un mode de compréhension des faits qui s'en éloignent. Freud n'est pas hostile aux Lumières. Il se situe hors de leur problématique et de leur espace spécifique.

Sans même que l'on en ait eu conscience, la triple mise en cause, de la maîtrise de l'homme sur lui-même, sur l'Univers et sur l'économie et le social (Freud, Galilée et la physique moderne, Marx) jettent une sorte de discrédit sur les Lumières. Le xxe siècle en a conclu un peu vite à la mort du sujet et à la fin de l'humanisme, oubliant qu'elles ouvraient la voie à de dangereuses dérives. Que reste-t-il des Lumières ? Quelques références souvent vides de contenu, mais auxquelles les malheurs du temps redonnent vie et pertinence. Face aux fondamentalismes, à la confusion entretenue ici ou là entre la religion et l'ordre de la société civile, les refus exprimés par les Lumières retrouvent force et validité.

Rien n'est sans doute aussi clair qu'autrefois. L'Histoire est, ne l'oublions pas, un processus de transformation, souvent global, qui n'épargne pas les idées. Ainsi en est-il de la volonté d'utilité sociale, qui définit dans une large mesure la raison d'être des Lumières. Elle implique que la validité des connaissances se mesure à l'aune du mieux-être matériel ou moral des hommes. C'est cette volonté qui nous permet d'inscrire les Lumières au-delà des textes dits philosophiques. La leçon est d'importance. Elle n'est pas oubliée quand nous avons à juger des politiques et quand notre époque définit les formes modernes de l'engagement, sur le terrain, sans référence aux idéologies, dans la lutte contre la faim, la misère, la maladie. Nous avons peu à peu appris qu'une époque est faite de tensions contradictoires et qu'on ne peut réduire le xviiie siècle aux Lumières, qui, elles-mêmes, ne peuvent se confondre avec les[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite de l'université de Tours, Institut universitaire de France

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Média

<it>Une lecture chez Madame Geoffrin</it>, A.C.G. Lemonnier - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Une lecture chez Madame Geoffrin, A.C.G. Lemonnier

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