LUTH
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Le luth et les formes musicales
Cet aspect psychologique détermine profondément le caractère de la musique. La solitude du luthiste l'engage à la méditation et à l'invention.
Ses recherches déterminent trois formes essentielles qui dominent toute la littérature du luth. La plus proche de l'esprit solitaire des luthistes est la forme libre que caractérisent le ricercare, la fantaisie et le prélude.
C'est dans ces pièces, très voisines de l'improvisation, que s'exerce le côté proprement méditatif du luthiste. Ricercare et fantaisie se signalent le plus souvent par leur qualité contrapuntique. Le compositeur s'essaie dans des formules harmoniques souvent inédites. Le prélude joint à une mélodie souvent proche de la rêverie un rythme très lâche, capable de se modeler à l'humeur et au sens de l'interprète. On a souvent dit du prélude que les luthistes l'inventèrent pour vérifier l'accord de l'instrument avant d'entamer un concert. C'est, en fait, bien plus à une mise en condition du luthiste et des auditeurs que s'adresse le prélude, plutôt qu'à la justesse de l'accord, l'oreille de la Renaissance, du fait du tempérament inégal, n'étant pas dressée comme la nôtre à l'exactitude des sons. Le luthiste, au contraire, aimait à préluder sur un thème en toute liberté, en exerçant traits de virtuosité et rapidité, afin de se dégourdir et de se mettre en train.
À l'opposé des pièces libres et de caractère didactique, les luthistes cultivèrent aussi les formes imposées, parmi lesquelles figurent en premier lieu les danses. Issues tout d'abord du répertoire chorégraphique du Moyen Âge, ces danses se renouvelèrent rapidement sous l'impulsion des luthistes, à la fois dans leur rythme et dans leur structure. Si les anciennes basses-danses, tout empreintes de la bonhomie médiévale, se retrouvent dans les premières tablatures françaises de Pierre Attaingnant (1529), c'est sous une forme entièrement nouvelle. Elles sont réunies par groupe de trois suivant une même mélodie et une tonalité unique. À une « basse-danse » fait suite une « recoupe » plus rapide, qui s'enchaîne sur un vif « tourdion ». Dès le recueil de l'Italien Petrucci (1507), le même phénomène se produit avec une cellule analogue : pavane – saltarello – piva. C'est à partir de ce cycle tripartite que les luthistes conçoivent la forme célèbre de la suite instrumentale. Très tôt, les recherches rythmiques étoffèrent la suite originale de trois danses ; il serait fastidieux de dresser ici la liste de toutes les nouvelles danses qu'inventèrent les luthistes, il faut néanmoins remarquer que leur imagination donna naissance à un grand nombre de rythmes nouveaux qui vinrent enrichir la chorégraphie. Parmi les plus caractéristiques, il faut mentionner l'allemande, pièce d'allure noble et modérée où s'exprime toute la sensibilité du luthiste ; la courante, plus vivante ; la sarabande, pièce lente et qu'une ligne mélodique dépouillée rend souvent mélancolique ; le menuet et la gavotte, d'un caractère joyeux et guilleret, et enfin la gigue, dont le rythme pointé est un engagement irrésistible à une danse sautée pleine de vigueur.
Toujours dans le domaine des formes imposées, il faut citer les adaptations au luth d'œuvres vocales polyphoniques. Nombre de grandes polyphonies sont transcrites pour luth seul avec une étonnante abondance de « diminutions », ou guirlandes de notes de passage qui, loin de s'expliquer par des impossibilités acoustiques ou mécaniques des luths, trouvent leur raison d'être dans le style de la musique de cette époque, c'est-à-dire dans la volonté des luthistes-compositeurs de prendre les modèles vocaux comme prétexte à une création ornementale originale. La curiosité harmonique des luthistes est toujours aussi vivante qu'au Moyen Âge, et elle les pousse à s'intéresser à tout le répertoire vocal de la Renaissance. Les chansons, les frottoles, les madrigaux sont « empruntés » chez Clément Janequin, Agricola, Ockeghem, Andrea Gabrieli. Les compositeurs choisissent aussi, parmi les œuvres liturgiques, des fragments de messe de Josquin Des Prés, ou même de Giovanni Pierluigi da Palestrina, lequel, dit-on, composait ses messes directement au luth. Le motet intéresse également les luthistes qui se livrent à de difficiles transcriptions d'œuvres de Heinrich Isaac comportant jusqu'à six voix.
Le luth est aussi utilisé comme instrument d'accompagnement dans les airs de cour ; le terme apparaît pour la première fois dans le livre d'Adrian Le Roy en 1571. Au début, réductions pour voix et luth de polyphonies à trois ou quatre parties, ils s'émanciperont pour devenir de véritables fantaisies comme le montrent certains « ayres » de John Dowland (In this Trembling Shadow Cast, I Saw my Lady Weep, vers 1600). Plus tard, ce seront des mélodies accompagnées d'abord au luth, comme en témoignent les nombreux recueils d'airs de Gabriel Bataille, Antoine Bœsset, Étienne Moulinié (1600 à 1640), puis au théorbe avec les airs de Michel Lambert, Bénigne de Bacilly (1640 à 1670) ; mais ici, les accompagnements ne seront plus notés en tablature mais sous forme de basse chiffrée.
Les luthistes participent intensément aux recherches des grands théoriciens comme Giuseppe Zarlino ou Vincenzo Galilei. En 1567, Giacomo Gorzanis écrit pour le luth une série de pass'e mezzi e saltarelli dans les vingt-quatre tons de l'échelle tempérée.
Si le luth est par excellence l'instrument de la solitude, cela n'empêche nullement les luthistes de faire vivre pleinement leur art en l'intégrant à la vie musicale en général. Les rythmes, l'harmonie et les formes de la musique s'en trouvent profondément marqués. Les luthistes, par l'originalité et la force de leur style, préparent les développements de la musique instrumentale occidentale.
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Écrit par
- Joël DUGOT
: directeur de la revue
Musique ancienne, luthier d'art (copies de luths et clavecins anciens)
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Média
Autres références
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ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Musique
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Voir aussi
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