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LUXE

Du rituel à l'ostentation, de l'aristocratie à la bourgeoisie, la notion de luxe évolue dans le temps en étroite relation avec les mutations de la société, ce dont témoigne l'attraction qu'il exerce aujourd'hui sur des pays tels que la Chine ou les Émirats arabes. Parfait vecteur d'une économie mondialisée, le luxe ne saurait cependant se confondre avec la seule expression de la richesse. Ce sont bien plutôt le désir de la rareté, le souci de l'élection qui viennent faire de ses produits autant de symboles d'une réalité qui serait « hors de prix », c'est-à-dire idéalement retirée du circuit marchand. La proximité du luxe avec l'art contemporain ne représente qu'un pas supplémentaire dans cette quête de l'unicité.

L'étymologie renvoie le luxe (du latin luxus) à l'idée de ce qui est séparé, démis, déboîté, et qui ainsi déplacé est marqué par son excès, signe de désordre ou de volupté, excluant au passage tout renvoi à la lumière (lux dont la racine est luc), qui relève d'une construction imaginaire occidentale associant le luxe à l'éclat de ce qui brille. Particulièrement rétive à toute définition pérenne, la notion de luxe se laisse appréhender tant à partir de représentations communes que des objets qui la composent ou des disciplines scientifiques qui la mettent en relief.

Un univers plastique

L'opinion générale – essentiellement relayée par les producteurs économiques et médiatiques – rattache le luxe respectivement aux traditions, aux savoir-faire, aux marques, à la rareté, à la cherté, à la qualité, la durabilité, au plaisir, à la marginalisation des usages ou à l'ostentation. Si chaque critère peut être mobilisé à raison, aucun n'est en tant que tel suffisant. Les expressions dominantes du luxe pour chaque époque, en l'occurrence aujourd'hui en fonction de marques et rattachées à des intérêts économiques, offrent une typologie composée de normes et de stéréotypes : cherté revendiquée des objets de luxe, références à des traditions, distribution sélective et mondialisée, communication solidaire d'une organisation du sentiment de rareté, d'exception et d'élection. C'est dire que les conditions sociales, économiques et intellectuelles qui ont commandé sa production n'ont elles-mêmes cessé d'évoluer. En témoigne l'abîme qui sépare le luxe moderne, marchand et à usage privé, de cet autre luxe considéré sous l'Ancien Régime à travers l'obligation sociale et politique de représentation à la cour.

Ensuite, au luxe ne correspond pas un type donné de produits qui existeraient autrement sous une forme plus commune. De même, des objets peuvent devenir luxueux, alors qu'à d'autres époques ou selon les circonstances ils se verront déclassés. C'est en ce sens que le luxe est une notion dynamique. Sa grande plasticité explique sa capacité à épouser les formes économiques les plus actuelles, à l'intérieur de grands groupes planétaires et financiarisés, en marge des formes religieuses monumentales du passé que furent par exemple les cathédrales ou les résidences du pouvoir. Le caractère mouvant et protéiforme du luxe rend non seulement compte de la grande diversité de ses expressions, mais aussi de la possibilité d'en explorer d'autres, marginales et à l'écart des échanges – le temps, la liberté, la solitude, le silence. De surcroît, le marché bouleverse continuellement ce processus de régénération du luxe pour capter de nouveaux clients, au risque de conduire à la dévalorisation de ses standards et de ses normes.

Tailleur Chanel - crédits : Evening Standard/ Hulton Archive/ Getty Images

Tailleur Chanel

Enfin, le luxe est un objet d'études tant pour l'ethnologie, l'anthropologie, la sociologie, la philosophie, que pour l'économie ou la gestion en raison de sa prévalence commerciale et économique. Outre les[...]

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Écrit par

  • : professeur de philosophie, auteur et responsable du département de recherche de l'Institut français de la mode

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Média

Tailleur Chanel - crédits : Evening Standard/ Hulton Archive/ Getty Images

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