LUXE
L'original et la copie
Si le luxe renvoie à un état d'exception, comment entraver la banalisation du luxe dont la diffusion – ou la démocratisation – est assurée techniquement par l'industrie et socialement par la mode ? D'abord, la diffusion sociale du luxe est liée au fait que le capitalisme – en témoigne au xxie siècle l'expansion économique de la Chine – modifie les positions sociales dont témoignent la consommation du luxe et l'accroissement des disparités économiques. A contrario, dans des sociétés aristocratiques stables ou traditionnelles, comme le montre Gabriel Tarde, le luxe est paradoxalement peu répandu. La stabilité des distinctions entre les classes sociales interdit de répandre les désirs du luxe au-delà des groupes restreints qui y ont traditionnellement accès. Son apparition ira de pair avec des sociétés où les distinctions sont encore tranchées mais de moins en moins stables. L'essor du luxe est donc à la fois l'outil et le symptôme de la mobilité sociale induite par le développement du capitalisme.
Par ailleurs, l'adoption du produit de luxe s'accomplit grâce au rayonnement des biens de luxe auprès d'un large public et indépendamment de son acquisition matérielle.
Ensuite, toujours selon Gabriel Tarde, l'industrie opère la transformation du bien unique, exceptionnel, en un bien de consommation courante, par le truchement de la mode qui touche par imitation des masses importantes. La destinée sociale des inventions est d'être au départ luxueuse – à l'instar de la découverte du cacao qui a servi à satisfaire le désir qu'elle a fait naître –, puis d'être diffusée, sous formes d'habitudes et finalement de nécessités, dans des groupes de plus en plus larges, voire à toute la société. L'industrialisation met en circulation des produits à grande échelle et à moindre coût en même temps qu'elle suscite une exigence nouvelle de les posséder. En témoigne la diatribe de Flaubert : « Dussions-nous y périr (et nous y périrons, n'importe), il faut par tous les moyens possibles faire barre au flot de merde qui nous envahit. Élançons-nous dans l'idéal, puisque nous n'avons pas le moyen de loger dans le marbre et dans la pourpre, d'avoir des divans en plumes de colibris, des tapis en peau de cygne, des fauteuils d'ébène, des parquets d'écaille, des candélabres d'or massif, ou bien des lampes creusées dans l'émeraude. Gueulons donc contre les gants de bourre de soie, contre les fauteuils de bureau, contre les mackintosh, contre les caléfacteurs économiques, contre les fausses étoffes, contre le faux luxe, contre le faux orgueil ! L'industrialisme a développé le laid dans des proportions gigantesques ! Combien de braves gens qui, il y un siècle, eussent parfaitement vécu sans Beaux-Arts, et à qui il faut maintenant de petites statuettes, de petite musique et de petite littérature » (Flaubert, Lettre à Louise Colet du 29 janvier 1854). L'aboutissement du luxe est alors la mode qui démultiplie le caractère arbitraire et contingent des désirs, tout en augmentant leur nombre, ainsi que celui des séries d'objets appelés à les satisfaire. Aucune forme de luxe ne saurait se constituer en figure sociale stable. Parce que la différence constitutive du luxe par rapport à son origine se défait en se domestiquant, tout luxe est transitoire.
Enfin, le mode de production des objets de luxe, plus ou moins artisanal, ne saurait être apprécié sans une prise en compte des moyens de communication et de distribution, qui s'avère comparable à celui qui caractérise les secteurs d'activités plus ordinaires. C'est la raison pour laquelle les producteurs ont besoin de régénérer le désir des consommateurs et de donner un caractère unique à leurs objets.
Dans cette optique,[...]
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Écrit par
- Olivier ASSOULY : professeur de philosophie, auteur et responsable du département de recherche de l'Institut français de la mode
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