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FEININGER LYONEL (1871-1956)

Lumières et transparences : les traces du réel

L'année 1911 marque une étape fondamentale dans la carrière de Feininger. Pendant un séjour parisien, de 1906 à 1908, il avait déjà pris connaissance des recherches cubistes. Après 1911, il oriente définitivement sa démarche en devenant l'ami de Robert Delaunay, et certaines de ses peintures de l'époque montrent clairement la dette contractée avec lui et avec Jacques Villon. Dans Le Pont (1913, Washington University, Saint Louis, Missouri), le peintre manifeste une tendance picturale voisine de la « déformation constructive » des peintres adeptes du nombre d'or. Les couleurs sont vives et saturées, proches de celles des expressionnistes allemands, mais les éléments naturels et architecturaux sont traités en guise de structures se démultipliant en rythmes clairs et transparents. L'interpénétration – d'origine cézanienne – qu'il établit entre l'atmosphère et les éléments figuratifs qu'elle contient ne se manifeste pas au détriment de la forme.

Cette dernière demeure stable et douée d'une remarquable transparence, ce qui permet à la lumière de traverser toutes les facettes géométrisantes de la composition. En 1913, Franz Marc invite l'artiste à exposer au Salon d'automne du Blaue Reiter. Mais l'approche de Feininger diffère de celle des expressionnistes allemands par l'utilisation spécifique qu'il fait de la couleur et des transparences, et par sa volonté de dématérialiser les formes. Il pensait que « ... la différence entre le matériel et le spirituel n'a plus aucun sens... ». Si les formes qui apparaissent dans les peintures de cette époque gardent certaines traces du réel, elles semblent surgir subitement dans l'espace, car il n'y a plus ici ni premier plan, ni plans intermédiaires, la ligne d'horizon s'effaçant elle aussi. Les pleins et les vides acquièrent le même statut, la lumière seule semble gérer et structurer l'image. Les formes et les architectures, qui apparaissent souvent dans les paysages de cette époque, ne disloquent plus l'espace jusqu'à la bidimensionnalité, comme c'était les cas pour les peintres cubistes et pour une partie de l'œuvre de Piet Mondrian vers 1910. Elles sont constituées par des facettes transparentes qui s'unissent à d'autres configurations claires, formant un rythme presque musical. Des qualités qui rattachent la recherche de Feininger à certains aspects de celle de Wassily Kandinsky.

En 1919, Lyonel Feininger entre au Bauhaus de Weimar, où il restera jusqu'en 1933. Au sein de cette institution, il fondera, avec Paul Klee, Wassily Kandinsky et Alexei von Jawlensky, le groupe éphémère des Quatre Bleus. Très actifs, les quatre peintres vont exposer de 1925 à 1933 en Allemagne, à New York et à Chicago, sur la West Coast et au Mexique. Toutefois, après 1933, ces œuvres seront considérées comme « dégénérées » par le régime nazi. L'artiste retourne alors définitivement aux États-Unis en 1937.

La composition Vollersroda III (1916, collection particulière, New York), œuvre dans laquelle il atteint une sorte de point de non-retour, montre la maturité et le raffinement de sa démarche durant l'époque qui précède son entrée au Bauhaus. Une peinture ouvertement liée au cubo-futurisme, mais conçue avec une rigueur formelle remarquable, composée d'une alternance de prismes lumineux à la limite de l'abstraction géométrique. Sans conteste, pendant la période influencée par le cubisme, le peintre utilise, dans l'élaboration de l'image, la fragmentation du sujet. Mais cette technique de montage ne conduira jamais à la disparition de celui-ci, car il enferme les indices du réel dans un réseau linéaire et chromatique clair et réfléchi dans ses moindres détails. À la fin de la décennie de 1910 et pendant[...]

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  • : professeur d'histoire de l'art à l'université de Paris-Ouest-Nanterre-La Défense

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