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FEININGER LYONEL (1871-1956)

Un graphisme lumineux

Les qualités et les caractéristiques des œuvres peintes des années 1920-1930 sont présentes aussi dans les dessins et gravures de l'artiste. Dans la gravure sur bois Tahiti (1920), Lyonel Feininger montre encore l'influence de l'approche d'Otto Müller et d'Ernst Ludwig Kirchner : les arbres du premier plan deviennent des formes qui ont subi une sorte de violence cubiste, avec leurs branches tordues dans un spasme expressif. Technique qui se prolonge dans le plan aquatique et dans les montagnes du fond. De nombreuses facettes striées empêchent la lumière de circuler. C'est l'expressivité agressive qui domine dans cette gravure, à l'instar de ce qu'on voit chez certains de ses compatriotes allemands.

Dans la gravure réalisée pour le manifeste du Bauhaus, La Cathédrale du socialisme (1919), l'artiste vise d'autres objectifs formels et conceptuels. Les images des églises gothiques, chères à son enfance, avaient déjà peuplé sa peinture et ses dessins. Cette fois, Feininger atteint une sorte d'équilibre parfait entre le message idéologique qui s'incarne dans la lumière du progrès social et sa codification formelle, exprimée par la transparence lumineuse et l'emboîtement de triangles et de diagonales. Malgré le coté sombre des traits gravés, la cathédrale s'impose par son intense luminosité, reprenant une idée déjà exprimée par les romantiques allemands du début du xixe siècle, tels Caspar David Friedrich et Ernst Ferdinand Oehme. La façade, à la verticalité manifeste, s'élance en hauteur jusqu'aux trois étoiles, encore un symbole d'origine ouvertement chrétienne. L'ensemble de la composition repose sur un savant emboîtement de triangles étirés, une évidente variation sur le thème de l'ogive et de la flèche gothique. Il en résulte un réseau de forces dynamiques stabilisées par les parties claires de la gravure. La lumière apparaît alors comme la victoire de la raison sur les forces obscures.

À son retour aux États-Unis en 1937, après cinquante ans d'absence, Lyonel Feininger reste fidèle aux orientations picturales qui avaient marqué sa jeunesse et son passage au Bauhaus allemand. Des marines, des défilés de voiliers, des églises, mais aussi des gratte-ciel sont rendus selon sa technique particulière : la consistance du réel est évoquée par des lignes impalpables, suspendues dans des plages colorées d'une intense clarté. L'espace s'articule en plusieurs parties, mais l'unité et la cohérence des compositions demeurent évidentes. Il s'agit bien là d'un des derniers témoignages des avant-gardes historiques du xxe siècle.

— Charles SALA

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  • : professeur d'histoire de l'art à l'université de Paris-Ouest-Nanterre-La Défense

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