LYRISME MUSICAL
Réalité du fait lyrique
Tout ce qui précède, c'est-à-dire les arguments des objectivistes antilyriques, doit être pris en très sérieuse considération. Cela prouve d'abord qu'il n'est pas vrai que toute musique soit lyrique ; ensuite, c'est un avertissement pour éviter de tomber dans les excès du sentimentalisme béotien, et pour porter attention aux qualités propres de l'être musical en lui-même.
Mais cela concédé, il n'en reste pas moins qu'il y a de la musique lyrique. La partie chantée de la Neuvième Symphonie de Beethoven est évidemment lyrique. Dans les Nozze di Figaro de Mozart, l'air de Suzanne au quatrième acte : Deh vieni, non tardar, o gioia bella ! a d'incontestables caractères lyriques, bien que Suzanne elle-même ne soit pas un personnage lyrique. Encore tout cela est-il d'appréciation. Mais bien des compositeurs ont affirmé expressément le caractère lyrique de leur œuvre par le titre qu'ils lui ont donné (ou que l'éditeur lui a donné, car il n'est pas toujours facile de distinguer). Un recueil du musicien norvégien Edvard Grieg sous le titre de Lyriske Stykker (Pièces lyriques) est universellement connu, et on a du musicien autrichien Alban Berg, l'auteur de Wozzeck, une Lyrische Suite für Streichquartett (Suite lyrique pour quatuor à cordes) qui, malgré la place donnée aux structures dodécaphoniques, se réclame, par son titre même aussi bien que par certains détails, de l'expressionnisme romantique.
On pourrait donner bien d'autres exemples. Ceux-ci sont déjà instructifs. En quoi les morceaux de Grieg ainsi réunis sont-ils lyriques ? Beaucoup d'entre eux – Soir en haute montagne, Silence en forêt, Petit Oiseau, Marche des nains – ont un caractère fortement descriptif, et par exemple n'étonneraient pas dans l'atmosphère des Tableaux d'une exposition de Moussorgski. En les qualifiant de lyriques, on veut dire – et cela s'appliquerait mieux encore à d'autres morceaux, tels que les deux Halling (danses norvégiennes) du recueil, ou le Chant des marins, ou les Souvenirs divers – que l'auteur a surtout cherché à reconstituer une certaine atmosphère sentimentale, particulièrement liée à ce qui procède, chez lui, de l'amour de sa patrie : paysages, traditions, milieux. Toutefois, une nuance très importante est ici à observer, c'est qu'assurément cet amour profond pour son pays (dont il est resté pour ainsi dire l'interprète attitré) n'a pas dispensé le musicien d'inventer certains rythmes, certains contours mélodiques, certains dispositifs harmoniques à ce point caractéristiques qu'ils permettent souvent à l'auditeur de reconnaître aussitôt l'auteur. Les dons de l'imagination sont aussi indispensables et aussi caractéristiques que ceux du sentiment. Jamais le sentiment, si intense, si passionné qu'il soit, n'a assuré à un musicien, pas plus qu'à un poète, à un peintre ou à un sculpteur, ce que l'imagination seule peut apporter, dans ses dons terriblement gratuits – terriblement, car personne ne sait d'où cela vient, ni comment cela se fait. Ce serait trop commode, si la sincérité de la passion suffisait à inspirer les plus beaux mots d'amour ou les cris de douleur les plus sublimes. Il faut, si l'on peut s'exprimer ainsi, que les dieux mêmes collaborent. On en a une preuve dans la Neuvième Symphonie. Que Beethoven ait mis toute sa souffrance dans cet héroïque renversement de la douleur à la joie et dans ce triomphe terminal de la joie, n'en doutons pas. Cependant une documentation biographique et musicologique précise apprend combien d'efforts et de recherches laborieuses il a fallu à Beethoven pour trouver le motif qui commence à évoquer la joie de tous les êtres ; finalement, pour ce thème, il a repris avec de profondes[...]
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Écrit par
- Étienne SOURIAU : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris, directeur de l'Institut d'esthétique de l'université de Paris
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Médias
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