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LYRISME, notion de

Orphée jouant de la lyre parmi les guerriers thraces, vase attique - crédits : AKG Images

Orphée jouant de la lyre parmi les guerriers thraces, vase attique

Le lyrisme désigne l'essence de la poésie, pour autant qu'on identifie cette dernière d'abord au chant : le terme renvoie en effet à la lyre, instrument de musique associé par les Grecs anciens à la figure mythique du premier poète, Orphée. Né de l'oralité, le poème se différencie de la prose par sa musicalité, transcrite différemment selon les ressources des langues. La versification tend à fixer la parole dans la mémoire au moyen de procédés qui, certes, ne sont pas universels (par exemple l'usage de la rime), mais qu'il est possible de catégoriser (en fonction du rythme, de l'accent, du mètre, etc.), et qui relèvent tous de ce que le linguiste Roman Jakobson a appelé principe d'équivalence, c'est-à-dire d'une pratique de la répétition.

Le chant d'Orphée

Inventée par Hermès, la lyre est l'instrument d'Apollon : le signe d'une inspiration divine, comme en témoigne éloquemment le plus grand des poètes lyriques grecs, Pindare. L'harmonie du poème, plus qu'un édifice de langue, participerait d'une réalité supérieure, transcendant l'apparence de chaos ou de désordre, à laquelle pourrait accéder le poète, comme l'initié des religions à mystères (d'ailleurs baptisées du nom d'Orphée : l'orphisme). Cette conception de l'inspiration ouvrant au « chant du monde » renaît dans une certaine poésie mystique (Jean de la Croix, 1542-1591), dont le symbolisme de la nuit se transmet au romantisme allemand (Novalis, 1772-1801), souvent avec un accent panthéiste, et dans la poésie lyrique moderne, celle de John Keats (Endymion, 1818) et William Wordsworth (Le Prélude, 1850) en Angleterre, de Giacomo Leopardi en Italie (L'Infini, 1819 ; Le Genêt, 1836), de Vigny, Musset, Lamartine, Hugo en France, au xxe siècle celle de Claudel, nourrie de son expérience de la Chine (Connaissance de l'Est, 1900-1907), ou de Saint-John Perse (Anabase, 1924 ; Amers, 1957).

L'identification du poète à l'inspiré – serait-ce pour son malheur, comme en témoigne, à la fin du xixe siècle, Verlaine (Poèmes saturniens, 1866 ; Les Poètes maudits, 1884) – est consubstantielle au romantisme dans toutes les littératures européennes. On n'est donc pas étonné de la fascination nouvelle pour la figure orphique, jusqu'à L'Enchanteur pourrissant de Guillaume Apollinaire (1909), promoteur de l'orphisme en peinture, aux Sonnets à Orphée de Rainer Maria Rilke (1922) ou au Testament d'Orphée de Jean Cocteau (1960).

<em>Stéphane Mallarmé</em>, É. Manet - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Stéphane Mallarmé, É. Manet

Mais la légende n'illustre pas seulement les pouvoirs du chantpoétique, elle en montre aussi les limites : Orphée, capable par sa voix de charmer même les maîtres des Enfers, s'il obtient de se rendre au pays des morts pour y revoir Eurydice, échoue à ramener celle qu'il aime chez les vivants. Devenu inconsolable, il périt le corps lacéré par les Bacchantes, que son indifférence a rendu furieuses. La « crise de vers » diagnostiquée en 1892 par Stéphane Mallarmé n'atteint pas seulement la forme : identifiée à l'expression du sentiment, la poésie se dégage comme elle peut des apories du pathétique et de la déroute du sujet. Lyrique (comme « sentimental », bien loin du sens que lui avait donné le poète allemand Friedrich von Schiller en 1795, en l'opposant à « naïf ») peut alors prendre un tour ironique, voire une nuance péjorative : synonyme d'exalté, de passionné, d'enthousiaste – parfois à l'excès.

Une part de l'écriture la plus contemporaine s'est construite par rejet délibéré de ce qu'Emmanuel Hocquard appelle les « maîtres chanteurs », associant le chant poétique au chantage (Tout le monde se ressemble, 1995) : « une bonne cure d'amaigrissement musical s'impose » – mais jusqu'où ? Le poème a partie liée avec[...]

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Pétrarque - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Pétrarque

Orphée jouant de la lyre parmi les guerriers thraces, vase attique - crédits : AKG Images

Orphée jouant de la lyre parmi les guerriers thraces, vase attique

<em>Stéphane Mallarmé</em>, É. Manet - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Stéphane Mallarmé, É. Manet