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LYRISME

Le lyrisme chinois

Qu'on imagine un peuple, à tous les âges de la vie, à tous les degrés de l'échelle sociale, unanimement féru de rythmes et de chansons. Une langue sans flexion, dont les éléments immuables se passent aisément des particularisations du genre, du nombre, de la personne. Une syntaxe malléable, où le nom, l'adjectif, le verbe peuvent échanger leurs fonctions, et qui structure spontanément la phrase en groupes rythmés et parallèles. Un lexique aussi riche d'implications à la verticale que foisonnant à l'horizontale. Une phonétique dont la pauvreté avantage les chercheurs de rimes, et dont la polytonie est musique. Une écriture, enfin, douée des pouvoirs d'un langage autonome. Ce paradis de la poésie existe : c'est la Chine. En l'absence de véritable poésie épique ou tragique, la lyrique profite seule, depuis près de trois millénaires, de ces chances exceptionnelles. Aussi la masse de ce long fleuve semble-t-elle sans égale au monde.

Contrastes

On le dit monotone. Son cours, pourtant, n'a cessé de varier. Ce peuple, qui communie dans l'amour de la poésie, se partage lorsqu'il faut en définir le sens. Chacun se réclame de l'antique formule, source de toute critique : « La poésie est le langage du cœur. » Mais qu'est-ce que le cœur (le mot chinois signifie aussi : inclination, ambition) ? Pour les uns, qui jamais en Chine n'ont désarmé, c'est la volonté droite, l'ambition civilisatrice du sage. Leurs adversaires ne prêtent à la poésie d'autre fonction que le libre divertissement ou l'élévation individuelle. Autre contraste : entre les improvisations populaires, ces joutes poétiques où s'affrontent les chœurs villageois, et les compositions de la classe mandarinale, tenue par ses fonctions de cultiver l'art poétique. L'imitation servile des Anciens et le respect des règles provoquent les plus violentes réactions : pour tel rebelle, au xviie siècle, il n'est de « vraie poésie » que le cri du nouveau-né. Le lyrisme en Chine est multiple et divers. Veut-on le définir par sa concision, sa grâce et sa mesure, que faire de l'exubérance, de la magnificence du Chu ci ? Prétend-on canoniser la grande époque des Tang ? Celle des Song qui lui succède, ce deuxième âge d'or, renverse les valeurs établies. Elle instaure un lyrisme raisonneur, qu'envahit la philosophie. Elle décrit, avec une familiarité provocante, les banalités jusqu'alors ignorées de la vie quotidienne. Elle renonce au pessimisme des siècles précédents pour la sérénité froide qu'on reconnaît à ses Céladons. Selon un critique japonais, il existe la même différence entre la poésie des Tang et celle des Song qu'entre le vin et le thé.

Cycles lyriques

La longue durée du lyrisme chinois permet cependant de déceler un certain ordre dans la juxtaposition ou la succession de ses courants. L'une des figures qu'ils ont coutume de dessiner est un cercle, sur lequel se succèdent périodiquement des phénomènes analogues. On admet que l'impulsion première réside dans le génie anonyme des masses, créateur des rythmes, tels que les mètres irréguliers des Han (yue fu), des Tang et des Song ( ci), ou des Yuan (qu). Ces innovations rythmiques accompagnent l'apparition de mélodies nouvelles, parfois venues d'Asie centrale, comme sous les Han et les Tang. Par l'intermédiaire des baladins et des jongleurs de cour, elles s'imposent ensuite à l'attention des lettrés, habiles à en exploiter les possibilités : soit qu'ils consacrent la primauté, parmi la diversité des rythmes populaires, des grands mètres classiques, le mètre quadrisyllabique, le plus ancien de tous, puis, à partir des Han, les mètres pentasyllabique et heptasyllabique, d'une prosodie assez souple sous leur forme « ancienne », beaucoup plus contraignante lorsque se[...]

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<it>Portrait de Kakinomoto no Hitomaro</it>, Enku - crédits : M. De Fraeye/ AKG-images

Portrait de Kakinomoto no Hitomaro, Enku

Lamartine - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Lamartine

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