LYRISME
Le lyrisme et l'Occident
Aux sources du lyrisme
L'histoire du lyrisme apparaît liée à celle de la subjectivité. Dès la Grèce antique, l'épanouissement du lyrisme a accompagné la prise de conscience de la valeur de la vie individuelle. Les fragments d'Archiloque (env. viie s. av. J.-C.) ne chantent encore que des désirs furtifs et des fortunes de guerre, tandis que la poésie de Saphô (qui passe pour avoir dirigé une « maison de servantes des muses ») fait déjà place à une expression intime plus délicate et plus complexe de la vie affective. Les plaisirs et les souffrances de l'amour resteront l'un des thèmes privilégiés du lyrisme : le désordre de la passion rend le sujet sensible à lui-même autant qu'aux détails du monde qui l'entoure. Plus tard, dans l'Antiquité latine, ce sont les poèmes de Catulle (82-52 av. J.-C.) qui inaugurent avec subtilité la tradition de la poésie amoureuse à laquelle Tibulle, Properce ou Ovide apporteront quelques-uns de ses développements les plus frivoles ou mélancoliques.
Un tout autre aspect du lyrisme s'impose avec Pindare (env. vie-ve s. av. J.-C.). D'inspiration dorienne, les épinicies pindariques retentissent comme des hymnes aux dieux et à la cité des hommes. Par-delà l'éloge des athlètes vainqueurs, l'ordre du monde est célébré. La circonstance devient prétexte à une méditation morale et religieuse. La légende et le mythe invitent à méditer autant qu'ils servent à louer. Le lyrisme grec offre alors ses œuvres chorales les plus imposantes et les plus achevées. C'est dans cette tradition de haut lyrisme que s'inscrit encore Saint-John Perse au xxe siècle.
Depuis les temps les plus anciens, la poésie lyrique apparaît ainsi partagée entre des formes mineures, au contenu léger, et des formes nobles. Ainsi, les expressions les plus anciennes du lyrisme médiéval sont-elles d'inspiration savante ou populaire. Les poètes de cour célèbrent volontiers sur des modèles antiques ou indigènes la puissance de leur prince, la grandeur de Dieu, ou les charmes de la vie profane. Ces poèmes associent le plus souvent, comme dans les chansons de toile, une donnée sentimentale à un récit. Les pastourelles font dialoguer les amours d'un chevalier et d'une bergère. De multiples chansons de marche ou de danse (ballade, rondeau, virelai, rotrouenge) accompagnent les fêtes villageoises ou religieuses. Dans toutes ces formes, l'élément musical est prépondérant. La présence d'un refrain repris en chœur lie l'expression individuelle de la danse collective. Le romancero espagnol, le contrasto italien et la ballade anglaise s'inscrivent dans cette catégorie de genres simples, accompagnés de musique et de danse.
Par ailleurs, le lyrisme tient volontiers de la performance ou de la prouesse. Les tensos des anciens troubadours n'étaient pas sans parenté avec les tournois qui distrayaient leurs seigneurs. Mais c'est surtout au xvie siècle, tandis que s'affirment les langues nationales, et parallèlement à la redécouverte des auteurs anciens, que les poètes rivalisent d'ingéniosité. L'enthousiasme panthéiste de l'auteur humaniste, conjugué à son souci de valoriser la langue, est en tous points favorable à la naissance de grandes œuvres poétiques. En Italie, l'inquiet Pétrarque a imposé dès le xive siècle une élégance d'expression jusque-là inconnue. En France, pour faire valoir la noblesse et les beautés de leur langue, les poètes de la Pléiade composent des odes accordées au « son de la lyre grecque et romaine ». Le même souci se retrouve en Angleterre, dans la poésie élisabéthaine.
Autant la poésie lyrique apparaît vigoureuse dans les époques de transition, autant il semble qu'elle s'essouffle quand un ordre triomphe. Ainsi, l'âge classique constitue-t-il un relatif[...]
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Écrit par
- Jamel Eddine BENCHEIKH : professeur à l'université de Paris-IV
- Jean-Pierre DIÉNY : directeur d'études à l'École pratique des hautes études
- Jean-Michel MAULPOIX : docteur ès lettres, professeur à l'École normale supérieure de Fontenay-Saint-Cloud
- Vincent MONTEIL : docteur ès lettres, professeur de faculté
- René SIEFFERT : professeur à l'Institut national des langues et civilisations orientales
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