LYSSENKO (AFFAIRE)
L'affaire Lyssenko en Occident
Devenu idéologie d'État, selon l'expression de Dominique Lecourt, le lyssenkisme devient le prototype d'une transformation en profondeur des sciences en U.R.S.S. après la Seconde Guerre mondiale. « Deux mondes, deux biologies », écrivait Staline cité par Sumpf. Le lyssenkisme s'intègre dans l'offensive jdanovienne de reprise en main idéologique des intellectuels entamée en 1938 en U.R.S.S., relancée en 1947 et étendue à l'Occident après 1948. Cette reprise en main, déjà difficile en U.R.S.S., comme le souligne Sumpf, du fait des formes de liberté acquises pendant la guerre, se heurte à la structure même des partis communistes occidentaux, dont les adhérents intellectuels ont pour une bonne part été amenés au parti par antinazisme, plutôt que par conviction marxiste. L'opération de reprise en main est réalisée sur deux fronts. Au congrès du mouvement pour la paix de 1948 à Varsovie, la coupure nette avec l'Occident est affirmée ; le manichéisme devient la règle et les intellectuels de toutes disciplines sont sommés par Jdanov et Fadeiev, de choisir leur camp (c'est le moment où Sartre, allié critique, est qualifié de hyène dactylographe). En U.R.S.S., le congrès de l'académie Lénine des sciences agronomiques de juillet 1948 est un véritable procès au cours duquel les mendéliens soviétiques, jusqu'ici relativement épargnés en dépit des purges de l'avant-guerre, ce dont témoignent de nombreux débats, sont sommés d'abjurer, et abjurent. La génétique soviétique disparaît officiellement pour dix ans au moins. Cependant, nombre de généticiens, privés de leur laboratoire, trouvent refuge chez les physiciens.
La même démarche est exigée des biologistes membres de partis communistes occidentaux : ils doivent adhérer au lyssenkisme. Les partis communistes de France, de Belgique et de Grande-Bretagne deviennent du jour au lendemain lyssenkistes, ce qui provoque le départ de beaucoup de biologistes parmi lesquels le Français Jacques Monod, le Belge Jean Brachet ou le Britannique John Burdon Sanderson Haldane. Restent ceux de conviction néo-lamarckienne, qui croient pouvoir s'accommoder d'une version édulcorée du lyssenkisme, et les « mitchouriniens ». Les tièdes comme le Français Marcel Prenant, zoologiste membre du comité central, sont expulsés un peu plus tard. Les autres scientifiques communistes protestent souvent, mais ne seront guère inquiétés, d'autant que, en 1950, Staline condamne la division entre science bourgeoise et science prolétarienne et qu'il a, de toute manière, trop besoin des physiciens... En Occident, le plus remarquable est l'attitude des spécialistes en sciences humaines, des philosophes et des écrivains communistes. Tous ou presque s'improvisent experts en génétique et en agronomie. La violence de leurs attaques dans les colonnes de la presse communiste est inouïe. L'affaire Lyssenko est finalement un échec profond pour les partis communistes occidentaux. La plupart des défenseurs de Lyssenko des années 1950 quitteront plus tard le parti communiste au fil des crises successives. Subsistera jusqu'au début des années 1960 l'Association des amis de Mitchourine, propagatrice de la foi lyssenkiste en milieu rural (notons que les numéros de la collection Que sais-je ? traitant de physiologie végétale et d'agronomie à cette époque sont signés par le responsable de cette association).
Comment a-t-on pu croire Lyssenko en France ? Parler de psychose comme l'a fait le biologiste André Lwoff, reflète certes l'atmosphère extravagante qui a régné dans l'intelligentsia européenne, mais c'est une explication un peu courte. De nombreuses raisons ont interdit la réflexion critique. Tous les historiens du Parti communiste français ont mis en avant la fidélité au parti et à l'U.R.S.S.,[...]
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Écrit par
- Gabriel GACHELIN : chercheur en histoire des sciences, université Paris VII-Denis-Diderot, ancien chef de service à l'Institut Pasteur
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