LYSSENKO (AFFAIRE)
Une ambivalence profonde par rapport aux connaissances scientifiques
L'affaire Lyssenko présente bien évidemment les traits caractéristiques du mode de résolution des conflits par le gouvernement stalinien. La période qui précède la Seconde Guerre mondiale se lit comme le prolongement des procès de spécialistes et comme une manière politique de répondre aux problèmes majeurs de l'agriculture soviétique. Celle de l'après-guerre fait partie d'une offensive contre les intellectuels, soviétiques et occidentaux dans le cadre du « lancement » de la guerre froide. Pendant une vingtaine d'années, « les problèmes de la biologie », comme on l'écrivait en 1950, ont servi la politique intérieure et étrangère de l'U.R.S.S. de manière unique dans l'histoire contemporaine. Tout cela ayant disparu, on peut penser que le dossier Lyssenko est refermé.
Deux manières de produire, pense-t-on, des résultats concrets ont été incarnées par le paysan Lyssenko et l'universitaire Vavilov. Ce que fait Lyssenko, autodidacte, c'est rassembler en système un ensemble de pratiques empiriques, dont la vernalisation, les greffes et les changements de milieu. Sa pratique des greffes, son mode d'obtention de plants originaux ne sont pas très différents de celles utilisées avant la sélection scientifique des semences. Vavilov, lui, sélectionne de manière classique par croisements ; il extrait de la diversité génétique des plantes les caractères qui semblent utiles. Il est un expert internationalement reconnu. L'hostilité du premier envers le second est loin d'être seulement due à un heurt d'interprétations : elle traduit le choc de deux cultures différentes de la connaissance en agronomie de cette époque. Parce qu'il fut instrumentalisé, ce heurt fut un drame, on l'a vu. Il n'est pas resté isolé. Le heurt instrumentalisé entre « connaissance populaire » et « connaissance des experts » s'est retrouvé ailleurs de manière violente à plusieurs reprises, comme lors de la Révolution culturelle en Chine. Tant qu'il ne l'est pas, c'est simplement un débat, et de tels débats abondent de nos jours. Les rapports entre « science d'en bas » et « science d'en haut » sont souvent conflictuels, mais restent essentiellement pour l'instant restreints au terrain juridique et à celui des groupes de pression.
Une partie de ces débats inclut presque toujours la récusation des experts. Il est de fait que les données scientifiques pourtant établies sont souvent mal comprises ou tout simplement ignorées. Il est exact également que des affirmations scientifiques se révèlent inexactes. Mais le fait est que les données scientifiques sont régulièrement transformées en discours para ou pseudo-scientifique, en alterscience, comme l'appelle Alexandre Moatti qui en fait une analyse attentive. La génétique de Lyssenko était une alterscience. Que la génétique n'ait pas été reconnue par les lyssenkistes et les néo-lamarckiens atteste certes sa difficulté conceptuelle. Mais cela atteste surtout la difficulté à renoncer à une position, à une certitude, intuitive ou théorique, à l'origine de la construction pseudo-scientifique. L'idée de caractères acquis, elle-même liée à toute une série d'interprétations de la notion d'adaptation, est infiniment plus facile à admettre intuitivement que la sélection néo-darwinienne. Le discours de Lyssenko sur le vivant était en outre fortement anthropomorphe. Lorsqu'il écrit que le spermatozoïde choisit le bon ovule, et vice versa, que les arbres se sacrifient pour d'autres, que les plantations en nids des buissons font reculer les plantes adverses, et bien d'autres inepties encore, si cela met en rage les scientifiques, cela fait sourire, mais touche la sensibilité de celui qui n'est pas expert. Lyssenko s'inscrivait dans la même veine de sensibilité « naturelle » en opposant[...]
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Écrit par
- Gabriel GACHELIN : chercheur en histoire des sciences, université Paris VII-Denis-Diderot, ancien chef de service à l'Institut Pasteur
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