MA NUIT CHEZ MAUD, film de Éric Rohmer
Un film à contre-courant
Le film sort à Paris le 6 juin 1969. Malgré son titre, qui évoque un sujet scabreux (quelques années plus tard, le cinéma « X » va déferler sur les écrans), l'œuvre, en noir et blanc, revêt une apparence plutôt austère. Les dialogues abondants développent des propos intellectuels sur la foi religieuse, les valeurs morales, la prédestination, la fidélité.
Le début est entièrement muet. Le héros se lève à l'aube, va à l'usine et à la messe le dimanche. Le film est donc, dans un certain sens, aux antipodes du courant libertaire qui traverse la France en mai-juin 1968. Malgré le succès des conservateurs gaullistes et centristes aux élections législatives de l'automne, le climat idéologique dominant parmi la jeunesse est plutôt à la permissivité sexuelle et aux valeurs du mouvement « Peace and Love ». L'ingénieur rohmérien semble donc passablement anachronique.
C'est sans doute ce paradoxe et ce positionnement du film, à contre-courant, qui est à l'origine de son succès public. Il est vrai que l'ingénieur catholique bénéficie du charme incontestable de Jean-Louis Trintignant et qu'il n'est pas à une contradiction près entre l'exposé de ses convictions morales et la logique de son comportement. C'est évidemment la longue séquence située au milieu du film, celle de la nuit chez Maud, qui a joué le rôle déterminant dans l'adhésion des spectateurs à l'univers rohmérien. Elle est divisée en deux temps, d'abord centrée sur une confrontation à trois protagonistes (l'ingénieur, le philosophe, Maud), puis sur le jeu du « chat et de la souris » entre Maud et l'objet de son désir.
Les dialogues écrits par Rohmer développent des éléments de conversations que le cinéma ne représente pas souvent, car ils ont la réputation de ne pas être suffisamment spectaculaires. Toute l'habileté de Rohmer est d'avoir entremêlé une discussion métaphysique et morale sur le pari pascalien ou le déterminisme marxiste et un discours de séduction sexuelle. Il s'agit donc bien d'expliciter le sens du titre et, plus encore, ses sous-entendus.
Ces débats sont servis par une mise en scène classique, fondée sur des longs plans séquences et un respect scrupuleux du décor naturel de l'Auvergne et de sa capitale, en plein hiver. La caméra est toujours au service des propos des personnages, même si un « grand ordonnateur » s'amuse à les manipuler par l'opération de montage et de construction narrative, manipulation rendue évidente lors de l'épilogue et de la révélation finale.
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Écrit par
- Michel MARIE : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification
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