MA SAISON PRÉFÉRÉE, film de André Téchiné
« Je regarde toutes ces choses-là »
Le thème de la complicité trouble entre frère et sœur a été abordé entre autres par Faulkner dans Le Bruit et la fureur (1929) et par Cassavetes dans Love Streams (1984). Téchiné y a déjà été confronté puisqu'il a proposé une version de la vie des sœurs Brontë – ce qu'il nous rappelle en prénommant son héroïne Émilie. Mais c'est par des chemins détournés, à petites touches, que le thème est traité – par exemple le rapport entre l'Émilie du film, notaire quinquagénaire plutôt terre-à-terre, et Emilie Brontë morte à trente ans après avoir écrit l'ultra-romantique Les Hauts de Hurlevent, n'est pas des plus limpides. Téchiné, pourtant, ne recule pas devant une approche conceptuelle de l'art de mettre en scène, puisque chaque plan du film passe pour avoir été tourné à deux caméras dans le but d'adapter la forme au fond (deux points de vues simultanés sur tout : celui du frère et celui de la sœur). D'autres figures sont plus lisibles ; ainsi le désir dont fait preuve Antoine de remonter le cours du temps pour retrouver l'époque fusionnelle de l'enfance est-il souligné par un travelling droite-gauche durant lequel une sonnerie de cloches est passée à l'envers. Même idée en gros avec le chant scout qu'entonnent gaiement frère et sœur, et qui fait disparaître le désagréable bruit « adulte » du moteur de la voiture... D'autres fois Téchiné s'amuse à placer des dialogues sentencieux qui ressemblent à ceux des sitcoms, sans que l'on sache trop s'il faut les prendre comme une velléité naturaliste ou comme des jeux fassbindériens sur la confiscation du langage commun par les médias : « Dans la vie on refuse de se voir et tout à coup ça vous tombe dessus... Je supporte pas ce qu'on est devenus », dit Émilie qui ne se sent « pas douée pour le bonheur »... « Tout le monde peut trouver de l'énergie pour faire quelque chose, mais pour donner un sens à ce qu'on fait... », lance Antoine... Comme d'habitude dans le cinéma « post-Nouvelle Vague », la fin est ouverte, c'est-à-dire que rien n'est résolu : Antoine est toujours amoureux de sa sœur, et celle-ci toujours prompte à évacuer la question par un excès d'attention aux choses du quotidien. Comme le chante Ingrid Caven, « moi je regarde toutes ces choses-là, et je fais la-la-la la-la... ».
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Écrit par
- Laurent JULLIER : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
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