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MA VIE AVEC LIBERACE (S. Soderbergh)

Wladziu (dit Valentino) Liberace fut une célébrité dont on mesure mal l’impact hors des États-Unis et du microcosme scintillant de Las Vegas. Des décennies durant, ce fils d’émigrants italien et polonais, pianiste virtuose, parfois chanteur, fut la star immuable de la capitale du jeu. Une renommée qui recouvre bien des non-dits : le public de Liberace était majoritairement constitué de femmes de plus de quarante ans. Plutôt conservateur, mais aveuglé par l’idolâtrie, il niait farouchement l’homosexualité – pourtant évidente et affichée dans des costumes de scène flamboyants – de son icône. Le leurre était tel que Liberace put poursuivre en justice à plusieurs reprises, et avec succès, des médias qui avaient suggéré quelles étaient ses préférences amoureuses. Ce phénomène d’hallucination collective ne pouvait manquer d’intéresser le cinéaste Steven Soderbergh.

La traversée des apparences

Depuis la palme d’or cannoise obtenue en 1989, à l’âge de vingt-six ans, avec son premier long-métrage, Sexe, mensonges et vidéo, le metteur en scène a entrepris une œuvre boulimique et imprévisible. Les grands succès commerciaux, comme la série des Ocean’s (11, 12 et 13, 2001, 2004, 2007, avec pour complice régulier l’acteur et co-producteur George Clooney), alternent avec des œuvres expérimentales parfois déconcertantes (Schizopolis, 1996 ; Bubble, 2005 ; GirlfriendExperience, 2009). Les documentaires (Gray’sAnatomy, 1996) ou les docu-dramas (Che, 2008) côtoient les « à la manière de » (Kafka, 1991, inspiré de l’esthétique expressionniste ; The Good German, 2006, qui ressuscite le noir et blanc tantôt blafard tantôt tranchant du Troisième Homme de Carol Reed), les films destinés aux oscars (Erin Brokovich, seule contre tous, 2000, oscar de la meilleure actrice pour Julia Roberts) et les réinventions du film noir (À fleur de peau, 1995 ; Hors d’atteinte, 1998 ; L’Anglais, 1999). Au cœur d’un même film, les styles contrastent. Ainsi de Traffic (2000), puzzle étonnant sur le circuit de la drogue, dont chaque pièce est filmée selon une esthétique différente. Soderbergh s’est même mesuré aux remakes les plus insensés (Solaris, 2003, après le classique de Tarkovski).

Il serait facile de reprocher à l’œuvre entière son apparence disparate. En réalité, cette diversité d’inspiration et de styles ramène inlassablement à un souci unique : faire se fissurer une apparence pour saisir la vérité dans les craquelures, un programme qu’énonce en filigrane le titre original de Ma Vie avec Liberace : Behind the Candelabra, soit « derrière le candélabre ». Soderbergh a annoncé que ce serait là son dernier film (pour le cinéma peut-être, car, le tournage terminé, il a commencé à travailler sur une mini-série télévisée). Que cette interruption se confirme ou non, un tel souci, confiné au cercle intime ou étendu à l’universel, apparaît de façon insistante dans ses dernières œuvres : la contagion mondiale que l’on s’efforce de dissimuler (Contagion, 2011), les méandres d’intrigues policières tortueuses (Piégée, 2001 ; Effets secondaires, 2013) ou les boules à facettes du monde du spectacle.

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Écrit par

  • : historien du cinéma, professeur émérite, université de Caen-Normandie, membre du comité de rédaction de la revue Positif

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