MACBETH HORROR SUITE (C. Bene)
L'acteur et metteur en scène italien Carmelo Bene, invité par le Théâtre de l'Odéon, le Festival d'automne et le Centre international de dramaturgie, ouvrait la saison 1996 du Théâtre et celle du Festival avec une dramatisation humoristique dont le Macbeth de Shakespeare constituait le noyau. En 1983, Bene avait déjà présenté à Paris un spectacle à partir de la même source ; le but des diverses revisitations de Shakespeare que Bene a faites tout au long de son travail théâtral, avec notamment Hamlet, Roméo et Juliette, Richard III et Othello, n'est pas de rendre hommage à l'auteur anglais ou d'en proposer une lecture de plus, aussi « moderne » soit-elle : il s'agit plutôt de faire ressortir la situation particulière que chacune de ces œuvres délimite.
Comme en 1983, il est donc encore question, ainsi que le dit Bene, d'ôter, de soustraire – y compris dans les parcours historiques de la mise en scène de la pièce – ce qui n'entre plus dans les nécessités du représentable, et de développer en revanche une poétique nouvelle, propre à l'acteur. Dès lors, les questions de texte, de contexte ou de prétexte n'ont plus de sens : ce qui se décrit, ce qui se dessine dans ces derniers épisodes du « non-être au théâtre » de Bene, c'est une critique féroce des rapports contextuels que les spectateurs entretiennent avec ces œuvres, devenues des lieux communs revisités aux endroits attendus et soulignés par une culture des clichés qu'on n'arrête pas d'additionner, d'entasser, de répéter.
Pour Bene, « il faut être Macbeth, non le personnage, mais la situation », donc être une étrange histoire d'amour entre le roi et sa Lady (Silvia Pasello), où la complicité aboutit au délit : il en découle, par inversion, que tout crime est une « histoire d'amour »... conjugal. Au-delà de cet apparent noyau narratif reste pourtant l'essentiel de la pièce, condensé en une force antinaturaliste, développée par le jeu de l'acteur, qui détruit et dévore toute forme expressive. Mélancolie extrême de la scène, seule vivante dans ce royaume de morts : deux lieux scéniques parallèles – des armoires en acier, brillantes comme des miroirs, contiennent les éléments extérieurs au récit, lesquels envahissent avec leurs bruits puissants l'intimité solitaire de Macbeth et de sa Lady – entourent un lit où vont être crucifiées toutes les tentatives de mise en scène et de jouissance. « Les costumes, les armures, les objets de scène décident les gestes, les mouvements et les voix, les chants, les rires, les pleurs, jusqu'à l'aphasie du dire. [...] Macbeth est un forfait de scène. »
Dans ces conditions, il ne reste plus à Macbeth, à qui est nié même l'amour conjugal, que le travail forcé de chaque jour de scène : passant d'une armure à l'autre, de plus en plus lourde, il finit par démanteler les planches de la scène et les renverser dans le néant, dans ce « demain puis demain et demain / jour après jour rampe chaque demain... ». Bene semble fondamentalement intrigué par le rapport que l'acteur entretient avec son personnage, résolu ici en termes d'« humeurs » qui absorbent toutes les fonctions de l'en-jeu théâtral : l'auto-épouvante devient alors une machine de scène, l'action est toute dans le dire, la scène se bâtit sur l'imaginaire.
D'une mise en scène à l'autre, Bene va plus avant dans la démolition des éléments constitutifs de la pièce ; si les couleurs peuvent être des indicateurs de narration, les rouges anecdotiques de l'adaptation précédente ont disparu, laissant la place à la froideur exaltée des noirs et blancs chromés des armoires, à l'entassement des armures qui, dressées, subsistent non comme témoignage d'une histoire passée ou réactualisée, mais pour renforcer l'anomalie[...]
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Écrit par
- Jean-Paul MANGANARO : professeur des Universités
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