MACBETH (mise en scène A. Mnouchkine)
Une course à l’abîme
Effarant et effaré, Serge Nicolaï incarne celui qui, par- delà la monstruosité de ses actes, reste un petit homme aveuglé par son destin. Vaillant soldat, un rien brute, un rien fruste, embourgeoisé, il avance vers l’abîme sans comprendre que, quels que soient ses efforts pour maîtriser le déroulement des événements, précéder leur cours, voire le forcer, il n’en est que le jouet. Condamné à peine la tragédie a-t-elle commencé, il n’a d’autre issue que la folie, lâchant, en une réplique célèbre : « La vie n’est qu’une ombre en marche, un pauvre acteur/ qui, sur scène, se pavane et se ronge pendant une heure/ et puis qu’on n’entend plus. »
Autour de lui, le reste de la distribution suit, tambour battant : Maurice Durozier est le roi Duncan ; Vincent Mangado, Banquo ; Duccio Bellugi-Vannuccini, l’héritier légitime ; Nirupama Nityanandan, une Lady Macbeth aussi maîtresse d’elle-même dans l’élaboration du crime que fragile et bouleversante à l’heure de sa mort.
Ponctué d’éclairs et de coups de tonnerre, scandé par les musiques et percussions de Jean-Jacques Lemêtre qui joue en direct de ses étranges instruments, le spectacle prend des allures de saga tout en cris et en fureurs, en poésie et en rires aussi. C’est qu’ici Ariane Mnouchkine s’avère, une fois de plus, une fabuleuse conteuse, faisant du théâtre le monde, du monde un théâtre.
Dans un ballet de décors savamment chorégraphié, mobilisant un trentaine d’acteurs, sa mise en scène nous conduit d’un lieu à un autre, comme le ferait un livre d’images aux pages toujours inattendues : retourné, un tertre de bruyère pour sabbat de sorcières se métamorphose en QG de militaires chaussés de rangers et munis de téléphones de campagne ; forteresse bunker qui avance et recule tel un char, au dernier acte, le château de Macbeth apparaît, dans un premier temps comme un havre de paix, une demeure pour la gentry des années 1950... Il y a aussi une mer de draps noirs ondulants, qui surgit, plus réelle que la vraie : elle servira, subrepticement, la nuit, de linceul au cadavre de Banquo, assassiné.
Nul temps mort, ici, nul abandon à l’anecdotique, et aucun détail négligé. Des scènes habituellement traitées à la va-vite prennent des allures d’épisodes dignes des séries télévisées : l’exécution de la femme, l’enfant et toute la « maison » de Macduff, montrée sur un mode brut, presque documentaire ; l’entrevue de ce même Macduff avec Malcolm, l’héritier légitime du trône d’Écosse contraint à l’exil, dans un restaurant de la Tamise ; le banquet donné par Macbeth dans la grande salle aux tables tournantes de son château. Commencé par un bal au rythme du mambo, il se poursuit par l’apparition saisissante du fantôme de Banquo venu s’asseoir à sa place, avant de virer au fantastique avec l’irruption des sorcières. Mi-marionnettes mi-gnomes masqués qui, comme dans les films d’épouvante, font voler la vaisselle dans les airs, sans la toucher, puis, au terme d’une folle danse, elles invitent Macbeth à découvrir un dernier oracle via l’ordinateur.
Au dernier acte, la « forêt de Birman […] se met en marche » dans une brume distillant une singulière atmosphère de fraîcheur. Un oiseau volette et chante, comme s’il était porteur de renouveau... Et comme si Ariane Mnouchkine ne voulait pas achever cette tragédie, parmi les plus noires de Shakespeare, sans une note d’espoir.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Didier MÉREUZE
: journaliste, responsable de la rubrique théâtrale à
La Croix
Classification