MACHIAVEL (1469-1527)
Postérité du machiavélisme
Le Prince s'est répandu rapidement en Europe à travers les traductions latine ou française, et a connu une renommée considérable. Par la suite, ce qu'il est convenu d'appeler « la tradition machiavélienne » s'est déployé à plusieurs niveaux. Le plus politiquement immédiat de ces accès vécus à la lutte pour le pouvoir est, sans qu'il soit nécessaire pour personne de conduire de très longues recherches, la dénonciation du machiavélisme, considéré comme pratique de l'adversaire : elle s'appuie sur une permanence historiquement évidente des comportements détournés et calculateurs, des coups, des tromperies. C'est le sens le plus dégradé de l'estampille « machiavélique ». Ainsi, pour les penseurs de la Réforme, les machiavéliques sont les Jésuites ; pour chaque parti, à peu près continuellement, c'est l'autre... ; on raconte que, dans le même temps et dans le cadre de la même lutte pour le pouvoir, Mussolini dans ses palais et Gramsci dans sa prison lisaient tous les deux Le Prince.
Plus élaborées sans doute sont la recherche et la dénonciation des régimes machiavéliques notoires, c'est-à-dire ceux dont la congruence avec le corps social est inexistante et dont on ne peut plus du tout dire qu'ils en représentent l'émanation. Même si l'organisation politique n'est jamais réductible au social sans quelque gauchissement, détournement, transposition, tricherie, tous les régimes politiques ne sont pas également distants de la société dont ils sont plus ou moins la manifestation. Même si, de façon générale, un jugement sur le machiavélisme de l'autre n'est jamais sans polarité préférentielle, il est des périodes où la réprobation politique fait plus qu'affleurer : les figures majeures du théâtre élisabéthain, comme Marlowe ou Shakespeare, ne sont pas neutres en matière de conduite des affaires politiques et recourent volontiers au modèle machiavélien. C’est dans cette ambiance que le Diable a reçu un nom de baptême qui résiste bien dans le monde anglophone depuis 1643 : Old Nick, Vieux Nicolas...
L'analyse philosophique et politologique du machiavélisme renonce, on s'en doute, à toute dénonciation de type historique ou axiologique de tel ou tel régime. Ces jugements appartiennent à d'autres registres que celui de la seule compréhension. La méthode machiavélienne d'analyse, quand elle réfléchit sur les conditions de son exercice, révèle sa complexité, et c'est cette complexité elle-même qui à la fois la sauve et en pointe les limites. Comme type d'explication, elle s'est trouvée dépassée ; comme découverte d'un champ autonome d'explication, elle apparaît permanente.
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Écrit par
- Jean-François DUVERNOY : agrégé de philosophie, essayiste
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