MACHINISME
Machinisme et société
Les problèmes humains du machinisme industriel ont été alors mis en vedette. Si les développements du machinisme les rendaient particulièrement aigus, ils n'en ont pas moins existé depuis fort longtemps. Dès l'Antiquité, on a prétendu que l'esclavage avait en quelque sorte bloqué les progrès d'un machinisme en puissance, celui des mécaniciens de l'école d'Alexandrie. Si les navettes se mettaient en marche d'elles-mêmes..., déclarait déjà Platon. Il semble qu'il y ait eu là un faux problème : le travail des esclaves revenait infiniment plus cher que celui d'une machine. Et l'on voit un poète vanter au contraire le moulin à eau qui libère les femmes d'un travail pénible.
Au Moyen Âge, une autre idée se fait jour, qui persistera longtemps : la machine ne peut atteindre la perfection du travail humain. C'est ainsi que l'on voit, à la fin du xiiie siècle, interdire les fils filés au rouet pour les draps de qualité, au xve siècle encore prohiber les foulons hydrauliques. Il n'est pas rare de voir de nos jours des étiquettes portant cette mention : « entièrement fait main », destinée à attirer une certaine clientèle.
C'est au xvie siècle que paraissent se poser les véritables problèmes sociaux du machinisme. Le plus important est celui qui concerne un éventuel chômage provoqué par la machine. Il semble que les premières manifestations de cette opposition ouvrière à la machine soient les grèves d'imprimeurs lyonnais du milieu du xvie siècle, grèves qui auraient eu pour origine des perfectionnements apportés aux presses et provoquant une réduction de la main-d'œuvre.
À la fin du même siècle, on signale les premiers bris de machines, en particulier avec la mise en service de la machine à tricoter les bas de Lee : l'inventeur aurait été jeté à l'eau. De la fin du xvie siècle au xixe siècle, les exemples de luddisme ont été nombreux. Ils se sont multipliés à partir du xviiie siècle, avant de diminuer considérablement à partir du milieu du xixe siècle.
Le fractionnement du travail entraînant la lassitude de l'ouvrier n'était pas le seul fait de la machine : il pouvait exister dans une division du travail manuel tel que le décrit Adam Smith à la fin du xviiie siècle. Mais si l'on ajoute à cela des cadences plus rapides, et par conséquent une fatigue accentuée, caractéristiques d'un certain machinisme, celui des années situées entre 1880 et 1940, on comprend alors les réticences des organisations ouvrières.
L'automatisation supprimait incontestablement les inconvénients psychologiques et physiques des machines de l'âge précédent. Le chômage technologique n'en demeurait pas moins pour certains une menace grave. Les syndicats américains ont souligné de façon très ferme les dangers d'une situation qui paraissait évoluer rapidement. La disparition de catégories entières d'ouvriers, la réduction progressive, et rapide, des besoins en main-d'œuvre dans certaines industries où l'automatisation fut très développée ne sont pas les moindres difficultés d'une technique en pleine transformation dont les répercussions sur les structures sociales ont été indéniables.
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Écrit par
- Bertrand GILLE : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris
- Pierre NAVILLE : directeur de recherche honoraire au C.N.R.S.
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