MACROÉCONOMIE Emploi
Les théories alternatives de l'emploi
Si, depuis longtemps, bien des travaux ont insisté sur les composantes conflictuelles de la relation d'emploi, à commencer par les analyses célèbres de Karl Marx sur l'exploitation de la force de travail et l'aliénation du salarié, deux références américaines datant du début des années 1970 constituent, pour l'essentiel, les fondements modernes des théories alternatives de l'emploi.
Tout d'abord, la distinction, proposée avec force par Albert Hirschman, entre les comportements de défection (exit) et de protestation (voice) montre que l'issue d'un désaccord entre employé et employeur peut bien être le départ de l'employé pour rechercher un patron plus satisfaisant (défection), attitude qui fait jouer la concurrence du marché, mais aussi, et bien plus fréquemment, l'action collective organisée sur place (protestation). Dès lors, les interrelations discutées plus haut ne cernent qu'une part, effective mais minoritaire, de l'économie de l'emploi.
Ensuite, une série de thèses, développées par Michael Piore, Peter Doeringer et Barry Bluestone, a posé la discontinuité fonctionnelle du marché du travail. Ces théories du dualisme ou de la segmentation du marché du travail partent précisément des parcours professionnels construits pour une main-d'œuvre fixée, syndiquée, bien formée et rémunérée, parcours qui obéissent à une série de règles valables en général (grille de qualification, promotion interne, ancienneté) et non à des transactions de marché. Il s'agit alors de « marchés internes » aux entreprises (le terme est relativement malheureux, puisqu'il ne s'agit précisément pas de marchés), alimentés par un « marché primaire » réservé à une main-d'œuvre stabilisée et privilégiée, tandis que le « marché secondaire » rassemble le reste des salariés et les entreprises qui n'ont pu ou voulu constituer des marchés internes. Il y a ainsi partition du marché du travail, avec, d'un côté, des firmes puissantes bénéficiant d'une demande stable, cherchant à stabiliser leurs salariés et à capter les gains d'un collectif soudé, et, de l'autre, des firmes « secondaires » laissant jouer les mécanismes marchands. Cette dichotomie s'est avérée féconde. S'il est absurde de rechercher dans la réalité deux mondes étanches qui seraient chacun dotés de caractéristiques opposées (salaires faibles/salaires forts ; syndicalisation, formation, stabilité/absence d'organisation, faible formation, instabilité), par centaines des études ont pu montrer qu'il existait des « segments » ou des pôles favorisés, et d'autres aux itinéraires professionnels contraints, sans perspectives de promotion.
Trois pistes s'ouvrent ici, qui balisent l'essentiel des acquis récents sur l'emploi. La première revient sur la relation d'emploi en termes d'optimisation individuelle pour mieux fonder l'écart ainsi posé avec les ajustements de marché : ce sont les théories du salaire d'efficience et l'opposition insiders/outsiders. La deuxième cherche à intégrer ces acquis dans un schéma macroéconomique de concurrence imparfaite. Enfin, une troisième voie, d'inspiration plus systémique, se centre sur le jeu complexe des institutions et structures du marché du travail et des politiques de l'emploi. Elle met en évidence la variété des espaces stratégiques « sociétaux » où s'expérimente la régulation collective de l'emploi.
Salaires d'efficience et opposition insiders/outsiders
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Écrit par
- Bernard GAZIER : professeur émérite de sciences économiques à l'université de Paris-I
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