SÉVIGNÉ MADAME DE (1626-1696)
Mme de Sévigné a été célèbre en son temps comme femme d'esprit et comme mère passionnée, non comme épistolière hors du commun. Chacun, dans les salons, connaissait ses dons exceptionnels pour la conversation et ses trouvailles verbales. Mais ses correspondants seuls connaissaient sa rare aptitude à donner par écrit l'impression de la parole saisie sur le vif. La nouveauté de la lettre sévignéenne vient de ce qu'elle ne doit rien à la tradition littéraire reprise par ceux qui, comme Guez de Balzac, ont fait de la lettre un genre à l'imitation des Anciens, et pas grand-chose à la mode des lettres galantes à la Voiture. Son écriture dépend de la poste, devenue fiable grâce à Louvois juste au moment où l'épistolière se met à correspondre avec sa fille. Au grand scandale de ceux qui croient que la réussite littéraire est le résultat d'un long travail et la conséquence d'une recherche consciente, Mme de Sévigné offre l'exemple d'une œuvre totalement improvisée et totalement involontaire. Au commencement était l'amour. Le chef-d'œuvre est venu par surcroît.
Une jeunesse guillerette
À sept ans, Marie de Rabutin-Chantal, née d'un gentilhomme bourguignon et d'une fille de financier, avait perdu père, mère et trois de ses grands-parents. Sa grand-mère paternelle, Jeanne de Chantal, la sainte fondatrice de la Visitation, lui restait. Elle eut la sagesse de laisser à la tribu des oncles, tantes et cousins maternels (les Coulanges) le soin d'élever affectueusement l'orpheline, qui reçut une éducation toute moderne, à base de conversation et de lectures.
La légende veut que Ménage et Chapelain aient été ses maîtres. Mais ces importants personnages ne formèrent son esprit qu'après son entrée dans le monde. De son mariage à dix-huit ans avec Henri de Sévigné, jeune et bel orphelin, elle aura deux enfants et des terres à gérer en Bretagne. Veuve à vingt-cinq ans, elle « veut être à tous les plaisirs », écrira son cousin Bussy-Rabutin. Puis elle s'enorgueillit de la beauté de Françoise-Marguerite, dont elle veut faire une autre elle-même. La demoiselle, qui aime la discrétion, s'offusque des manières de sa mère. Mme de Sévigné se passionne pour ce seul être qui lui résiste.
Le 27 janvier 1669, elle donne cette fille, qui a vingt-trois ans, à un bon gentilhomme d'une grande famille provençale, François de Grignan, installé à Paris. Le bonheur paraît assuré. En novembre, c'est la catastrophe. Louis XIV nomme Grignan lieutenant-général en Provence. Il devra y résider, et sa femme préférera toujours aux charmes de Paris et de la cour le plaisir de vivre près de lui.
Le 6 février 1671, quand Mme de Sévigné écrit à la comtesse, qui l'a quittée deux jours plus tôt, elle a quarante-cinq ans depuis la veille. Elle sait que sa lettre est la première d'une série qui durera autant que l'absence, mais elle en ignore la durée : huit années étalées sur vingt-cinq ans. Elle n'écrit pas par caprice, par inspiration ou par métier, mais parce qu'elle a promis d'écrire chaque fois qu'un courrier part pour la Provence (deux puis trois fois par semaine). La comtesse fait de même en sens inverse, et les lettres reçues de sa fille ont pour la marquise autant d'importance que les siennes. Elle en a besoin affectivement, mais aussi pour répondre. Parce que Mme de Simiane a détruit les lettres de sa mère, on n'entend aujourd'hui qu'une voix. Mais Mme de Sévigné, qui détestait les lettres « sur la pointe d'une aiguille », n'aurait pas écrit sans dialogue.
Sauf à sa fille, Mme de Sévigné n'avait pas de plaisir à écrire. « J'aime à vous écrire ; je parle à vous. Il me serait impossible de m'en passer. Mais je ne multiplie point ce goût. Le reste va parce qu'il le faut. » Ce reste a été mal conservé.[...]
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Écrit par
- Roger DUCHÊNE : professeur de littérature française à l'université de Provence
Classification
Média
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