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SÉVIGNÉ MADAME DE (1626-1696)

Un auteur posthume

Mme de Sévigné n'a jamais vu une seule ligne d'elle imprimée. Le public l'a découverte progressivement : cinq lettres quelques mois après sa mort dans les Mémoires de son cousin Roger de Bussy-Rabutin, cent neuf l'année suivante parmi ses Lettres. On la publie parce qu'elle avait excellé à lui donner la réplique, dans un échange où ils se plaisaient tous deux à se sentir intelligents et spirituels : le « rabutinage ». Égaux en noblesse et égaux en esprit, ils n'étaient pas égaux en écriture. C'est lui l'auteur de la famille.

La marquise est morte depuis vingt-neuf ans quand paraît la première édition de ses lettres à Mme de Grignan, vingt-huit lettres seulement. Deux éditions, l'année suivante, en donneront l'une cent trente-huit, l'autre cent soixante-dix-sept. Il y en eut deux autres, plus complètes, en 1734, puis en 1754, dues à Denis Marius Perrin, un Aixois, auquel Mme de Simiane avait confié l'ensemble des autographes de sa grand-mère, avec mission d'y « mettre la dernière main ». Il la mit sans vergogne. Retranchant maints passages et corrigeant le style, jugé trop libre, il accommoda la marquise aux règles du genre épistolaire.

On y trouvait des réflexions morales et des conseils de vie pratique. Au point que l'on en a parfois tiré des extraits à l'usage des demoiselles ou des femmes du monde. C'est méconnaître la signification d'une profonde réflexion, teintée de jansénisme, sur la condition de l'homme, sur la privation du bonheur, sur la fugacité du temps. On a beaucoup insisté sur le contenu historique des lettres et sur le témoignage qu'elles portent sur la France au xviie siècle. Elles racontent, en effet, plusieurs des grands événements du règne et maintes scènes de la vie parisienne et provinciale. Mais toujours dans des « reportages » aussi capricieusement entrepris qu'interrompus.

Remarquée par ses premiers lecteurs, l'expression de la passion fait l'originalité de l'œuvre. Mme de Sévigné écrit à sa fille des lettres d'amour. Comme le souligne Perrin, « les tours nobles, délicats et variés dont elle use pour exprimer sa tendresse ne lui sont pas moins propres que sa tendresse même ». Telle est sa « singularité », due à « l'excès de sa sensibilité ». C'est la source de quelques élans lyriques, vite réprimés de peur de déplaire, et surtout de maints regrets de la séparation, de conseils de santé et d'un grand nombre de détails sur l'entourage des deux correspondantes.

Découverte par hasard en 1873, une copie contenant trois cent dix-neuf lettres à Mme de Grignan donne désormais, pour une partie du texte, une image fidèle de son état original. On y trouve, dans un style sans apprêt, ce que Perrin avait cru devoir supprimer : difficultés financières des Grignan, railleries sur les Provençaux et les Bretons, anecdotes gaillardes rapportées sans pudibonderie par une femme réputée « guillerette ». Pour le reste (plus de la moitié), ce qu'a écrit Mme de Sévigné reste inexorablement corrompu par les remaniements de ses premiers éditeurs.

La marquise a, dit-on, écrit pour le public et ses lettres circulaient partout. Il n'en est rien. C'est aujourd'hui seulement que l'on peut enfin lire (partiellement) ce qu'elle a vraiment écrit à sa fille et pour elle seule. Les outrances de la passion s'y mêlent aux audaces de style, les trouvailles aux répétitions, les morceaux de bravoure aux ennuyeux passages d'affaires, les « landes » avec la prairie. Cet art brut s'accorde parfaitement avec l'attente de notre temps.

— Roger DUCHÊNE

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Écrit par

  • : professeur de littérature française à l'université de Provence

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<em>Portrait de la marquise de Sévigné</em>, P. Mignard - crédits : Pierre Tetrel/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Portrait de la marquise de Sévigné, P. Mignard

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