REBÉRIOUX MADELEINE (1920-2005)
Née le 8 septembre 1920 à Chambéry, décédée le 7 février 2005 à Paris, Madeleine Rebérioux, née Amoudruz, enseignante, citoyenne et militante, a été une femme d'intelligence et de cœur, de parole et d'acte, qui avait reçu comme un viatique la formule de Jaurès : « Le courage, c'est de chercher la vérité et de la dire. »
Sa personnalité, son franc-parler, ses fidélités ont d'abord signalé une historienne, de celles et ceux qui n'embrassent le temps que pour tenter de donner du sens au monde, qui ne veulent pas exercer impunément leur métier. La khâgneuse repliée en 1940 à Clermont-Ferrand, la sévrienne dans Paris occupé, l'agrégée à la Libération, la « prof » électrisant ses lycéens à Mulhouse, à Montgeron puis à Saint-Maur, l'assistante à la Sorbonne en 1964 avait su faire feu de ce bois-là, et très joyeusement, avant de batailler, pour l'honneur de Mai-68, à Paris-VIII, à Vincennes puis à Saint-Denis. C'est là que, docteur puis professeur, elle a toujours entraîné et souvent enfiévré des brassées d'étudiants. Professeur honoraire, elle fit longtemps séminaire à l'E.H.E.S.S. dans les années 1990.
Elle s'était spécialisée dans une histoire sociale de la France contemporaine à forte tonalité politique et culturelle, hantée par 1789, pleine d'une fidélité sans dévotion à son premier maître, Ernest Labrousse. Marxisme très assoupli, souci de nouveaux questionnements, refus de la besogne en solitaire et de la course aux honneurs : comme les autres « filles du Dr Labrousse », Michelle Perrot, Rolande Trempé et Annie Kriegel, elle a su élargir et actualiser les problématiques du cher patron. Elle les a appliquées à l'histoire du mouvement ouvrier, socialisme et syndicalisme mêlés, à celles de l'idéal républicain, de la justice sociale, des femmes, des avant-gardes et des avenirs jusqu'en 1914. Elle n'a pas cessé d'arpenter ainsi le « continent Jaurès », dont elle fut la meilleure connaisseuse pendant un demi-siècle, depuis l'édition de Textes choisis « contre la guerre et la politique coloniale » pour les Éditions sociales en 1959, en pleine guerre d'Algérie, jusqu'à la publication des premiers volumes des Œuvres chez Fayard depuis 2000, en passant par force articles, rééditions et communications savantes ; mais sans avoir achevé son chef-d'œuvre de compagnon, la biographie du tribun-Père qu'elle avait promise et qui ne vint jamais.
Si, finalement, elle a écrit peu d'ouvrages, c'est que la recherche collective l'a dévorée et, peut-être, davantage comblée. Elle fut active de bout en bout : avec Jean Maitron, sur les chantiers du Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier et de la revue Le Mouvement social, qu'elle dirigea de 1971 à 1982 ; à sa chère Société d'études jaurésiennes qu'elle cofonda en 1959 et présidait depuis 1982 ; au musée d'Orsay de 1982 à 1987, dont, en tant que vice-présidente, elle aida à faire un haut lieu d'art et d'histoire culturelle.
Apprécier la militante relèverait d'autres critères de jugement. On s'en gardera donc ici. Il suffit de rappeler que, engagée au sens le plus fort au Parti communiste dès la Libération, elle ne crut pas devoir quitter celui-ci après Budapest et qu'elle n'en fut exclue qu'en 1969, pour avoir participé à la dissidence de la revue Politique aujourd'hui. Comment et pourquoi cohabitèrent si longtemps chez cette intellectuelle le stalinisme obligatoire et la ferveur anarcho-individualiste ? Au vrai, c'est la lutte en dehors des partis contre la guerre d'Algérie qui en a fait une sorte de pasionaria des droits de l'homme et, plus récemment, de la « citoyenneté sociale ». Dès 1957, elle a mobilisé pour la défense des libertés bafouées. Contre[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Jean-Pierre RIOUX
: inspecteur général honoraire de l'Éducation nationale, ancien directeur de recherche au C.N.R.S., directeur de
Vingtième Siècle (revue d'histoire)
Classification