RENAUD MADELEINE (1900-1994)
L'année même de la disparition de Jean-Louis Barrault est morte Madeleine Renaud, la comédienne qui a formé avec lui le couple de théâtre le plus célèbre. Lui était la fougue et l'esprit d'aventure, elle tout ensemble le charme et la solidité. Bien que d'apparence fragile, elle a tout autant que lui du ressort, du courage, et accepte les aléas d'une carrière fertile en retournements dont elle sait profiter pour diversifier et approfondir son talent. Son premier prix de comédie (dans le rôle d'Agnès) en 1921, au concours de sortie du Conservatoire, vaut à Madeleine Renaud un engagement de pensionnaire à la Comédie-Française. Elle s'y fait remarquer dans des rôles d'ingénue et de jeune première : Cécile, Ninon, Rosette (Musset), Mariane, Angélique (Molière), Fanchette, Rosine (Beaumarchais). Dans les années 1930, elle est une vedette du cinéma parlant et tourne des films de Jean Choux (Jean de la lune, 1931), Julien Duvivier (Maria Chapdelaine, 1934), et surtout Jean Grémillon (L'Étrange Monsieur Victor, 1938 ; Remorques, 1941 ; Lumière d'été, 1943 ; Le ciel est à vous, 1944). Elle accède alors à l'emploi de jeune coquette, qu'elle assume aussi au théâtre : Jacqueline, de Musset, Suzanne, de Beaumarchais. Sociétaire depuis 1928, une brillante carrière l'attend à la Comédie-Française. Mais sa rencontre en 1936 avec Jean-Louis Barrault, sur le tournage d'Hélène où ils sont partenaires, en décide autrement. Divorcée d'avec Charles Granval, dont elle a un fils, Jean-Pierre, elle épouse en 1940 Jean-Louis Barrault qui entre par amour pour elle à la Comédie-Française. Il y met en scène Le Soulier de satin (1943), où elle est Dona Musique, rôle auquel la destinaient sa diction parfaite et sa voix d'une grande pureté qui restera fraîche et jeune jusque dans la vieillesse. En 1946, les plus grands comédiens de la Comédie-Française la quittent pour former au théâtre Marigny, autour des Renaud-Barrault, une nouvelle compagnie, la plus brillante de Paris. Madeleine y triomphe dans Marivaux (Araminte) comme dans Feydeau (Amélie), où elle fait montre d'un talent comique insoupçonné.
En 1956, le bail du théâtre Marigny n'est pas renouvelé, et l'aventure commence : grandes tournées internationales, consécration de la Compagnie avec son installation en 1959 à l'Odéon, dont elle fait le Théâtre de France (Les Paravents, 1966). À la suite de l'occupation, par les contestataires de 1968, de leur théâtre, dont ils sont évincés sans ménagement par Malraux, s'ouvre pour les Renaud-Barrault une période difficile. La Compagnie est en sommeil. Tandis que Jean-Louis joue à l'Élysée-Montmartre, Madeleine interprète L'Amante anglaise de Marguerite Duras, à la salle Gémier de Chaillot, ainsi que la première œuvre de Witkiewicz créée en France, La Mère (1970), au théâtre Récamier. Elle, que les plus grands metteurs en scène ont dirigée (Baty, Dullin, Dux, Barrault, Blin), a accepté de l'être par Claude Régy, encore peu connu. Comme elle accepte, l'âge venant, des rôles de mère ou de femme très âgée : Harold et Maude (1978) et Oh les beaux jours (1963), sans cesse repris, qui fait d'elle l'inoubliable Winnie. “Avec l'âge, quand on l'a accepté, on perd toute pudeur, et une comédienne ne doit pas en avoir [...]. La seule chose importante est de trouver de l'amour dans ses rôles.” Elle a été l'âme du théâtre du Rond-Point où, à partir de 1981, la Compagnie se retrouve chez elle après la halte au Théâtre d'Orsay. Elle l'a maintenu vivant autant que le lui a permis le grand âge, jouant et rejouant Beckett et Marguerite Duras, qui écrivit pour elle Savannah Bay (1983). Son art était fait d'intelligence, de sensibilité et d'extrême simplicité. Une grande dame de la scène.[...]
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Écrit par
- Raymonde TEMKINE
: ancienne élève de l'École normale supérieure de Fontenay-aux-Roses, critique dramatique de
Regards et des revuesEurope ,Théâtre/Public , auteur d'essais sur le théâtre
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