ROBINSON MADELEINE (1916-2004)
Dans son autobiographie, Les Canards majuscules (1978), Madeleine Robinson livrait plutôt son portrait que le parcours d'une actrice dont elle reconnaissait la fermeté de caractère, voire le mauvais caractère, aiguisé par la férocité de certains de ses rôles. Madeleine Svoboda, ce qui signifie « liberté » en tchèque, est née à Paris le 5 novembre 1916 ; elle entre à l'usine à quatorze ans puis devient crieuse de journaux, taxi-girl... Après un essai infructueux au Conservatoire, elle commence à fréquenter le cours de comédie de Charles Dullin. Le temps passé à l'Atelier restera pour elle un moment privilégié de sa vie.
Une voix posée, un peu mate, lui permet, entre deux figurations, de faire du doublage. Elle pose également pour des photos publicitaires quand, en 1936, le hasard lui permet de remplacer l'actrice principale du film Le Mioche (Léonide Moguy). Le succès commercial et la révélation d'une jeune première, belle par simplicité et par sensibilité, ont pour résultat que Svoboda s'efface et que Robinson s'impose.
Jusqu'à la guerre, l'actrice va être mêlée au tout-venant des studios, à l'exception du tournage de Grisou (Maurice de Canonge, 1938), une adaptation de la pièce de Pierre Brasseur et de Marcel Dalio. Charles Vanel l'épaule pour un premier contact avec Henry Bernstein (L'Assaut, 1937). L'exode la fixe à Marseille, en 1940. Là, elle rencontre André Roussin et Louis Ducreux, qui la retient pour sa pièce Musique légère. Elle apparaît dans quelques films de la zone libre et se révèle une remarquable comédienne dans Une grande fille toute simple, pièce à clé de Roussin. En 1943 encore, grâce à Jean Grémillon, elle tient brillamment son rôle dans Lumière d'été. Claude Autant-Lara la choisit pour incarner avec une retenue et un tact parfaits la gouvernante ambitieuse de Douce (1943), un des chefs-d'œuvre de la période de l'Occupation.
Son aisance, son souci de la composition lui permettent d'aborder les paysannes farouches (Sortilèges, Christian-Jaque, 1945 ; Dieu à besoin des hommes, Jean Delannoy, 1950) aussi bien que les élégantes (Entre onze heures et minuit, Henri Decoin, 1949 ; Mannequins de Paris, André Hunebelle, 1956 ; Le Gentleman d'Epsom, Gilles Grangier, 1962) ou que les redoutables (Les Chouans, Henri Calef, 1946 ; Leviathan, Léonard Keigel, 1961 ; Piège pour Cendrillon, André Cayatte, 1965). Elle sait traduire l'héroïsme d'une petite bonne (Les Frères Bouquinquant, Louis Daquin, 1947), les élans d'une servante (Une si jolie petite plage, Yves Allégret, 1949), la futilité d'une prostituée (Le Garçon sauvage, Jean Delannoy, 1951), rôle qui lui valut le titre de meilleure actrice du cinéma français. Un seul plongeon dans la Nouvelle Vague : À double tour (Claude Chabrol, 1959). Orson Welles la dirige dans Le Procès (1962).
Son allure la désignait pour interpréter à la scène les héroïnes classiques. Elle fut Elmire dans Tartuffe, après avoir incarné Jeanne d'Arc en 1954, dans un spectacle orchestré par René Clément et donné, à ciel ouvert, dans l’ancien cimetière Saint-Maclou de Rouen. Mais le succès allait la cantonner bien souvent au répertoire de boulevard raffiné. Après une reprise du Secret, c'est le triomphe de La Soif avec Jean Gabin (Henry Bernstein, 1946 et 1949). Trois dates infléchissent sa carrière : 1944, qui marque la reprise à Paris d'Une grande fille toute simple ; 1954, avec Adorable Julia (M. G. Sauvageon), jouée près de 1 500 fois ; 1964, Qui a peur de Virginia Woolf ? (Edward Albee), pièce âpre où sa rigueur de comédienne impeccable se heurta à la désinvolture de son partenaire. La presse provoqua une cabale. Blessée, Madeleine Robinson s'éloigna, puis contre-attaqua en développant une mise au point dans son livre de souvenirs, intitulé par[...]
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Écrit par
- Raymond CHIRAT : historien de cinéma
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