MADRID
La « pseudo-capitale » des Habsbourg
La présence de la cour à Madrid provoque un afflux rapide et continu de population : fonctionnaires, ordres religieux (qui tous veulent avoir un couvent à la cour), aristocratie et, par contrecoup, artisans et commerces de luxe (orfèvres, armuriers, brodeurs, tailleurs) qui se groupent le long de la calle Mayor sur le chemin du Palais. La superficie de la ville décuple ; l'extension se produit dans toutes les directions sauf vers l'ouest, barré par le fossé du Manzanares et les domaines royaux de l'autre rive (Casa de Campo), seule oasis qui échappe au déboisement désastreux des environs. Partout ailleurs, un réseau de rues nouvelles rayonne autour de la Puerta del Sol, porte devenue place. Larges et droites, contrastant par leur tracé régulier avec les voies sinueuses et montueuses du vieux quartier, ces rues, qui demeurent les artères principales du centre actuel, portent le nom des lieux auxquels elles menaient, vers le sud (Toledo), le sud-ouest (Atocha), l'est (Alcalá), le nord (Hortaleza, Fuencarral). La ville, tournant le dos à sa maigre rivière, atteint les limites qu'elle conservera jusqu'au milieu du xixe siècle.
Mais elle ne devient pas pour cela une capitale : improvisée, elle est aussi provisoire. Aucun décret n'a régularisé son avènement et, de 1601 à 1606, Philippe III l'abandonne pour Valladolid, ce qui provoque une grave crise économique. Philippe II n'a rien fait pour l'embellir – hors le pont de Ségovie construit par l'architecte de l'Escorial, Juan de Herrera, « fleuve pour un demi-pont, pont pour trente mers ». Et ses successeurs, en proie à des difficultés économiques croissantes, ne pratiqueront à aucun moment un urbanisme de magnificence. C'est seulement en 1618 que Philippe III fait reconstruire par son architecte, Juan Gómez de Mora, la plaza Mayor, place fermée que domine la loge royale (Panadería) et qui sera pendant deux siècles le confluent de la vie de cour et de la vie populaire, le théâtre des processions, des autos de fe, des courses de taureaux. Philippe IV dote le vieil Alcázar d'une assez noble façade classique, mais ne se préoccupe pas d'articuler le palais à la ville. Au contraire, ce roi galant, plus épris de fêtes et de peinture que de politique, inaugure en 1635 une nouvelle résidence moins maussade : aux confins orientaux de Madrid, près du monastère de San Jerónimo où les rois font retraite, le Retiro, aujourd'hui parc intérieur de Madrid, était un vaste domaine ; un palais, des chapelles, des salles de bal, un théâtre étaient disséminés parmi les arbres, autour du grand étang. De ce fait, entre la ville et le Retiro, les médiocres allées du Prado de San Jerónimo deviennent la promenade à la mode, rendez-vous des oisifs élégants, théâtre des duels, « bourse des amours ».
Quant à la ville, hors le quartier ancien proche du Palais, elle demeure un corps flottant dans un vêtement trop ample, avec des terrains vagues, de vastes enclos occupés par les couvents, des maisons basses généralement à un étage – pour éluder la servitude de logement au bénéfice des fonctionnaires royaux (regalía de aposento) ou la taxe compensatoire qui frappe les étages supérieurs ; construites en terre battue dans des coffrages de bois, avec un simple placage de briques, elles sont minables... et éphémères. Les voyageurs étrangers notent la rareté du pavage, la poussière et la saleté des rues où vaguent chèvres et porcs. Seuls quelques édifices publics (Palais municipal, Prison des nobles), à tours d'angle, marient heureusement brique, pierre et ardoise ; mais les palais de la noblesse ne se distinguent guère des maisons particulières que par leurs dimensions plus imposantes et régulières. Les églises mêmes, objet de la sollicitude de toute la nation, réservent pour l'intérieur leur riche décor de[...]
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Écrit par
- Michel DRAIN : agrégé de géographie, docteur d'État, directeur de recherche émérite au C.N.R.S.
- Paul GUINARD : professeur honoraire à l'université de Toulouse
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