- 1. Indépendances, régimes politiques, modèles économiques et projets de société
- 2. La question des frontières au cœur de la construction du Grand Maghreb
- 3. À la recherche d'une unité maghrébine
- 4. L'islamisme maghrébin : une contestation politique commune
- 5. La berbérité du Maghreb
- 6. 2011 : les « printemps maghrébins »
- 7. Bibliographie
MAGHREB Le Maghreb politique
Article modifié le
2011 : les « printemps maghrébins »
La chute de deux dictateurs : Ben Ali et Kadhafi
En Tunisie, l'immolation par le feu d'un jeune marchand ambulant, en décembre 2010, en réaction aux harcèlements et brimades de la police locale, est l'événement improbable qui a déclenché ce qu'on appellera la « révolution de jasmin ». En moins d'un mois, le système népotiste de Ben Ali, qui a gangréné, par des logiques de corruption au plus haut sommet de l'État, la société et l'économie tunisiennes, s'effondre sous les coups de boutoir de manifestations gigantesques dans tout le pays. Celles-ci se diffusent rapidement dans les pays voisins. Si les registres de la contestation sont communs à l'ensemble des pays maghrébins (jeunesse éduquée, poids de l'armée, absence de leadership idéologique, rôle déterminant des réseaux sociaux), leurs effets prennent des formes très diverses selon les pays.
À la suite de la Tunisie et de l'Égypte, la Libye voit, à son tour, en février 2011, d'importantes révoltes se propager dans l'ensemble du pays. La violence de la répression menée par Kadhafi se heurte à l'organisation des forces d'opposition dans un Conseil national de transition, une autorité politique et militaire qui se présente comme le « représentant légitime du peuple libyen ». La guerre civile entre les fidèles à la Jamahiriya et les insurgés soutenus par une intervention étrangère sous mandat de l'O.N.U. fait des milliers de victimes. Les violences ne cessent qu'avec la mort de Kadhafi, abattu lors des combats en octobre 2011. La Libye est le seul pays maghrébin à avoir bénéficié de l'intervention d'une coalition internationale et d'une opération militaire commandée par l'O.T.A.N. Les révoltes sociales font donc tomber deux dictatures installées depuis plusieurs décennies, celle de Ben Ali et celle de Kadhafi. Mais elles ne font tomber ni l'oligarchie militaire algérienne, ni la monarchie marocaine, ni le président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz.
Quelles réformes pour quels projets ?
Alors que les pays voisins instaurent des réformes structurelles à la suite du « printemps arabe », l'Algérie maintient l'ordre établi en lançant, grâce aux revenus de la rente pétrolière, une série de mesures destinées à améliorer la vie quotidienne de la population (politique de logements sociaux, prêts à taux zéro pour les jeunes de moins de 25 ans, accès aux crédits à la consommation, politique d'infrastructures routières...). Ainsi, les élections législatives de mai 2012 consacrent, en dépit de toutes les prévisions, le triomphe du F.L.N., le parti historique.
La Tunisie s'engage, quant à elle, dans une transition démocratique incertaine et expérimente le jeu des alliances politiques en portant au pouvoir une coalition constituée du parti islamiste Ennahda (« Renaissance »), vainqueur du scrutin d'octobre 2011, du parti de la gauche nationaliste (Congrès pour la république), dont est issu le président de la République Moncef Marzouki, et du Forum démocratique pour le travail et les libertés (social-démocrate).
Le Maroc, enfin, s'engage dans un processus de réforme d'une grande rapidité. L'action offensive du Mouvement du 20-Février, qui regroupe diverses sensibilités politiques, s'appuie sur la dénonciation des pratiques de corruption, de clientélisme et d'affairisme qui marquent le paysage politique marocain. L'organisation d'importantes manifestations pacifiques dans les grandes villes du royaume et la revendication d'une réforme constitutionnelle – et non pas du départ de Mohammed VI – sont rapidement prises en compte par le monarque. Dans un discours prononcé le 9 mars 2011, le roi promet la mise en place d'une commission consultative de révision de la Constitution. La nouvelle Constitution (renforcement du Parlement, désacralisation de la personne du roi...) est adoptée par référendum, à une écrasante majorité, le 1er juillet 2011. Les élections législatives organisées en novembre 2011 accordent la victoire au P.J.D., parti islamiste. Selon la nouvelle Constitution, son leader, Abdelilah Benkirane, est nommé Premier ministre.
De la contestation à l'exercice du pouvoir
Le « printemps arabe » contribue à ouvrir les pays du Maghreb à de nouvelles pratiques de la contestation et à de nouvelles expressions de l'affirmation politique. Les questions de l'État de droit, des libertés individuelles et du respect des droits de l'homme sont au cœur de la contestation menée par une jeunesse maghrébine éduquée, urbaine, familiarisée aux chaînes satellitaires (Al-Jazira, M.B.C...), à Internet et aux réseaux sociaux (Facebook, Twitter), mais privée de perspectives d'emploi. Le soulèvement de cette jeunesse révèle l'écart immense entre les attentes et exigences de cette génération et celles de leurs parents et grands-parents.
La contestation de la rue révèle à quel point les modalités d'action politique produisent des effets très différents selon les États. La normalisation de la situation postrévolutionnaire à travers l'organisation d'élections tout au long de l'année 2011 met en exergue l'affirmation des mouvements islamistes dans le processus de transition démocratique. L'électorat populaire islamo-conservateur attend des nouveaux pouvoirs des pratiques de gouvernance qui leur permettent d'entrer dans une ère constitutionnelle garante des libertés et porteuse d'un projet de société partagé par le plus grand nombre. Les partis islamistes ont un ancrage social et politique historique et sont crédités des valeurs d'honnêteté et de fermeté. Grâce à leur passé d'opposants, leur discours politique est simple et fondé sur des référents religieux compréhensibles par tous.
Néanmoins, les partis islamistes au pouvoir, P.J.D. au Maroc et Ennahda en Tunisie, sont confrontés pour la première fois à l'épreuve du pouvoir et à l'action gouvernementale. Les attentes sont grandes : transformations sociales et économiques, respect du jeu des règles démocratiques, politique internationale, règlement des conflits, sécurité et stabilité politiques... Les tensions qui éclatent de nouveau en Tunisie et en Égypte en 2012 et en 2013 rappellent à quel point le jeu démocratique du pouvoir est périlleux et le chemin de la transition démocratique parsemé d'embûches. En effet, si les islamistes sont sortis vainqueurs des urnes, ils doivent apprendre à composer avec l'ensemble de l'électorat, et leur inexpérience du pouvoir peut engendrer de grandes déceptions. Le risque existe de les voir mobiliser le référentiel religieux et identitaire pour compenser l'absence d'un programme économique et social. Car moraliser la vie politique, lutter contre la corruption et agir pour une plus grande justice ne constitue pas, en soi, un projet de société à l'ère de l'intégration de l'espace maghrébin dans l'économie mondiale.
Les régimes autoritaires et despotiques ainsi que la pensée politique fondée sur le nationalisme indépendantiste et les théories de développement postcoloniales appartiennent désormais au passé. Lors des révoltes de 2011 s'est s'exprimée une génération de Maghrébins indifférente au référentiel nationaliste et porteuse de nouvelles attentes sociales.
La relance de l'U.M.A. : une des conséquences du « printemps arabe »
L'un des autres effets positifs des « printemps maghrébins » est la relance de l'U.M.A. Le marché maghrébin représente, pour les investisseurs, une véritable plate-forme de compétitivité et de production de richesses.
Cette relance, encouragée par les dirigeants tunisiens et marocains en 2012, repose sur la volonté de mettre en valeur la complémentarité des économies maghrébines. En effet, les importations de l'Algérie, qui est un gros producteur d'hydrocarbures avec une faible diversification de son économie, viennent principalement des pays de l'Union européenne (U.E.) et non pas de ses voisins maghrébins et africains. Quant au Maroc, il continue d'acheter son pétrole à l'Iran et à l'Arabie Saoudite plutôt qu'à l'Algérie.
La consolidation de l'U.M.A. permettrait de constituer un marché de près de 79 millions de consommateurs et un espace producteur de richesses et de mobilité des personnes et des capitaux. La portée stratégique des questions de développement au sein d'une coopération intermaghrébine est partagée par l'ensemble des décideurs maghrébins. Mais la contestation de la rue en 2011 a permis de prendre la mesure de la fragilité économique des pays du Maghreb et de son corollaire, le chômage de masse des jeunes (30 p. 100 chez les moins de 25 ans). En dépit des divergences algéro-marocaines autour de la question du Sahara occidental, la reprise du dialogue politique bilatéral annonce une possible normalisation, à moyen terme, des relations entre l'Algérie et le Maroc. La renaissance de l'U.M.A. s'effectue à travers un renforcement de l'intégration économique (lois et projets de développement communs, investissements intrarégionaux) dans lequel l'Algérie joue un rôle actif. En effet, n'ayant pas été pris dans la spirale du « printemps arabe », Alger ne souhaite pas pour autant être isolé (ni écarté) au sein d'un espace maghrébin marqué par de nouvelles donnes politiques et économiques.
L'U.M.A. pourrait contribuer également à réguler les flux de plus en plus importants des migrants subsahariens et transformer les pays du Maghreb en espaces de travail et de richesses plutôt qu'en espaces de transit ou de rétention. Jusqu'à présent, les pressions exercées par l'U.E. sur les États maghrébins ont repoussé les frontières européennes hors des limites de l'espace européen. Ces pressions consistent à contrôler drastiquement les frontières des pays du sud de la Méditerranée au prix de violations graves des droits de l'homme. Il s'agit d'une politique ultrasécuritaire, relayée par les États maghrébins, qui fait de la Méditerranée un espace de passage à haut risque pour les migrants. Cette question migratoire se pose déjà, pour les États maghrébins, en termes de migration de travail, de statut juridique des migrants, de modalités d'accueil, de possibilités d'emploi.
Les enjeux, à court terme, sont donc considérables : réouverture des frontières entre l'Algérie et le Maroc, règlement du conflit du Sahara occidental, politique commune de sécurité, stabilité politique pour la Tunisie et la Libye, régulation des migrations africaines, consolidation de l'U.M.A... autant de chantiers à mener qui contribueront à remodeler le paysage politique du Maghreb postrévolutionnaire.
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Écrit par
- Karima DIRÈCHE : professeure agrégée d'histoire, docteure en histoire contemporaine, chargée de recherche au CNRS
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