MAGIE
Magie et préhistoire
Les deux aspects fondamentaux de la magie – la foi dans la puissance du nom et de la parole et la science du geste et de l'image – sont étroitement associés, dès leurs origines préhistoriques, à la conception centrale d'une relation mimétique puis d'un rapport analogique entre le signe et l'objet du rite, opération primordiale d'anticipation de l'acte ou de possession contraignante qu'incarne la puissance vitale du magicien et qu'elle rend actuelle et efficace.
L'accomplissement rituel de l'acte magique semble avoir eu pour but principal d'enfermer et de capturer figurativement un gibier visible ou invisible, naturel ou surnaturel, en le contraignant à se prendre au piège d'un espace clos, de formules fixes, de gestes précis et de danses minutieusement réglées, comme s'il s'agissait, en quelque sorte, d'arrêter ses mouvements avec sa vie et, par là, de « contracter » le temps autour de l'expression d'un désir ou d'une volonté. La magie, dit Jacob Boehme, « n'est en soi rien qu'une volonté, et cette volonté est le grand mystère de toute merveille et de tout secret : elle s'opère par l'appétit du désir de l'être ».
Les études de linguistique comparative ont montré l'existence, dans le monde indo-européen, de correspondances précises entre des termes religieux ou des expressions juridiques et des notions magiques communes à la plupart des peuples blancs qui s'établirent en Europe : Hellènes, Latins, Celtes, Germains, Albanais, Arméniens et Slaves.
Ainsi l'indien brahman, l'avestique baresman et le latin flamen, noms donnés à des prêtres, proviennent-ils d'une même racine indo-européenne désignant primitivement un serviteur de divinités magiques. Les « flamines majeurs » de Rome remplissaient des fonctions analogues à celles des brahmanes consacrés à Varuna, dieu suprême de la magie contraignante, et à Mitra, dieu de la règle et du contrat. Odhinn, la divinité suprême du panthéon germanique, représentait le « grand magicien des combats » mais aussi, par sa domination sur l'écriture magique des Runes, le maître du droit civil. L'iranisant Stig Wikander et le germaniste Jean de Vries ont confirmé, en effet, sur de nombreux points, ces découvertes que l'on doit à Georges Dumézil dont la méthode nouvelle d'interprétation des mythes a permis de comprendre plus profondément les relations, jusqu'alors insoupçonnées, qui rattachaient la protohistoire des Indo-Européens aux civilisations et aux institutions antiques. À mesure que ces archaïsmes étaient plus évidents, il devenait plus difficile de contester l'antériorité de l'imagination magique par rapport au sentiment religieux.
D'autre part, les travaux des préhistoriens ont révélé l'influence fondamentale des pratiques magiques sur la conception et l'élaboration des œuvres d'art. Dès ses origines les plus lointaines, la magie n'apparaît pas comme un système cognitif ou spéculatif, ni comme une « vision du monde » de type religieux philosophique ou préscientifique. Étroitement opérative, concrète et expérimentale, au sens le plus général de ce terme, elle fait partie des techniques de mimétisme, de piégeage, de simulation et de travestissement, indispensables à l'économie préhistorique de la chasse. Ainsi est-ce peut-être en imitant la nature que l'homme a inventé la magie, c'est-à-dire l'art d'accomplir ce qui n'a pas lieu dans le cours ordinaire des événements naturels.
Les psychologues et les psychiatres, enfin, ont découvert et observé les constantes de l'imagination magique dans l'inconscient individuel et collectif. Ils ont montré que des archétypes mythiques, des clichés et des désirs immémoriaux ne cessent de hanter[...]
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Écrit par
- René ALLEAU : historien des sciences et des techniques, ingénieur conseil
- Roger BASTIDE : professeur honoraire à l'université de Paris-I
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