MAHĀBHĀRATA (anonyme) Fiche de lecture

Une philosophie de l'homme

Le propre de l'épopée est de rendre familier aux hommes le monde du divin, à travers des effets le plus souvent surnaturels. Le combat mené par les Pāndava n'est donc pas un combat ordinaire, il est au contraire destiné à maintenir l'ordre cosmique. Ce souci d'établir un monde à soi ne provient pas seulement du désir d'organiser son milieu, mais de jouir de l'inviolabilité et de la pérennité propres au cosmos, et à toute âme qui le reproduit. L'action s'avère nécessaire chaque fois que l'unité de la vie ou du monde est menacée. L'homme revit alors une histoire qui le renvoie aux origines du monde. Il échappe ainsi au temps et à l'histoire. L'essentiel, dans l'épopée, est de recréer l'Être, le sacré : le Mahābhārata, comme les épopées grecques d'Homère, L'Iliade et L'Odyssée, ne déroge pas à ce principe.

Loin d'être homogène, le récit regorge de traditions, de mythes, d'anecdotes, et contient surtout les prémices de la spéculation philosophique et les vérités cachées de la religion qui apparaissent dans le livre VI consacré à la Bhagavad Gītā, poème philosophique, considéré comme une Upanishad (texte sacré hindou) majeure. Le récit du livre VI commence sur le champ de bataille où vont s'opposer les forces du Bien et du Mal, où vont s'affronter des hommes de même sang. Au moment de lancer ses troupes à l'attaque, Arjuna, le chef des armées – dont le nom signifie « blanc » – sent ses forces lui manquer. Il entame alors un dialogue avec Krsna sur les raisons d'un tel carnage. Progressivement, Arjuna délaisse toute forme de désir lié à son ego, et s'élève au-delà du bien et du mal. Krsna lui dévoile les trois branches du yoga : le yoga de l'action (karma yoga), le yoga de la gnose ou « connaissance de soi » (jnana yoga) et le yoga de la dévotion (bhakti yoga), qui mènent à la méditation et à l'illumination. Toute la réflexion qui, lors de cette bataille, s'établit entre le dieu et son disciple, porte ainsi sur la philosophie de la connaissance. Mircea Eliade écrit à ce sujet : « Krishna y révèle la structure de l'univers, les modalités de l'être, et les voies à suivre pour obtenir la délivrance finale. » Le dilemme qui se pose à Arjuna résume celui que tout homme se pose au cours de sa vie : doit-on méditer pour accéder à la vérité ou au contraire agir et risquer d'affecter gravement son karma ?

Consacrée à Vishnu, cette épopée gigantesque insiste continuellement sur le rôle déterminant du karma dans notre vie quotidienne. Elle ne cesse aujourd'hui d'inspirer le théâtre et le cinéma indien. Peter Brook a également donné une éblouissante adaptation de l'œuvre au théâtre en 1986.