MAHĀBHĀRATA
La grande histoire des descendants de Bharata
Le sujet principal de l'Épopée, cette rivalité entre cousins germains nés de demi-frères, ne prend toute sa signification que si l'on remonte aux origines du conflit, relatées dans les premiers livres. Ces événements déjà lointains passent pour avoir été révélés à Vaiśampāyana par son maître Vyāsa qui est, en même temps, l'ancêtre des deux partis adverses, cette « révélation » devant authentifier le récit.
Deux clans, aux droits équivalents, se disputent la royauté d'Hastināpura ; toutefois la prépondérance accordée antérieurement à Pāṇḍụ, père des Pāṇḍava, et le fait que leurs cousins usent de procédés déloyaux mettent le dharma, la justice, du côté des Pāṇḍava. Dans une telle perspective, il apparaît normal et nécessaire pour l'ordre cosmique et l'ordre social – c'est la même chose, l'un étant le garant de l'autre – que les descendants de Pāṇḍu l'emportent. Mais les rapports des uns aux autres s'enchevêtrent trop étroitement pour que la victoire ne s'achète pas fort cher : le prix payé se révélera exceptionnellement lourd. Dans la perspective de l'équilibre entre le pouvoir religieux (brahman) et l'imperium (Kṣatra), le but de la lutte est aussi l'affaiblissement par la mort de nombreux guerriers de l'imperium devenu trop puissant.
Origine de la guerre
On peut partager les dix-huit chapitres (ou livres) de l'Épopée en trois groupes principaux. Les quatre premiers livres exposent les raisons lointaines et proches du conflit et comment celui-ci est devenu inévitable : il faut en rechercher les causes plusieurs générations en arrière.
Parmi la postérité de Bharata figure un certain Kuru ; bien que l'appellation de « Kaurava » soit réservée à l'un des partis, celui de Dhṛtarāṣṭra, les uns comme les autres descendent tous de ce Kuru. Un de ses arrière-petits-fils, le roi Śāntanu, eut, dans sa jeunesse, de la nymphe Gāṅgā (le Gange personnifié) un fils sage et vertueux, Bhīṣma. Plus tard, le roi rechercha l'alliance d'une princesse, Satyavatī, qui elle-même avait eu à l'insu de tous un fils, Kṛṣṇa, qu'elle avait abandonné dans une île (dvīpa) ; aussi appelait-on Kṛṣṇa Dvaipāyana (l'îlien) cet enfant qui, parvenu à l'âge adulte, se retira dans la forêt pour y mener une vie d'anachorète. Le père de Satyavatī, désireux de voir un fils de celle-ci devenir roi d'Hastināpura, exigea de Śāntanu non seulement que Bhīṣma renonce au trône, mais encore qu'il s'engage à ne jamais engendrer une descendance qui pourrait rivaliser avec celle de la jeune épouse. Bhīṣma, qui est juste et droit, promet d'obéir, par respect pour son père. Le mariage a lieu, deux fils naîtront. Mais la malchance s'en mêle : l'un est tué dans un combat, l'autre est de santé fragile et, bien qu'il ait deux épouses, il meurt sans laisser d'enfants. Or, dans la perspective indienne, encore très imprégnée de croyances védiques, n'avoir pas de fils pour continuer la lignée et pour offrir les sacrifices qui maintiennent dans l'autre monde une certaine vie aux ancêtres apparaît comme un désastre.
Suivant une coutume ancienne, qui rappelle celle du lévirat, on a recours, en pareil cas, au frère du défunt ; mais Bhīṣma, qui s'est engagé solennellement à ne jamais procréer, ne peut faillir à cet engagement. Satyavatī se souvient alors de son autre fils, l'ascète, qui a pris le nom de Vyāsa. On l'envoie chercher et il engendre un fils à chacune des épouses de son frère mort. Seulement sa laideur est telle, si peu soigné son aspect que les deux princesses ont défailli d'horreur à son approche ; l'une a fermé les yeux et a, de ce fait, mis au monde un fils aveugle ; l'autre s'est évanouie[...]
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Écrit par
- Anne-Marie ESNOUL : directeur d'études honoraire à l'École pratique des hautes études (Ve section)
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