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MAI-68, L'AFFICHE EN HÉRITAGE (M. Wlassikoff)

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La célébration du quarantenaire des événements de mai 1968 a favorisé une suite d'opérations éditoriales, muséographiques et marchandes. Des expositions ont été organisées à Drouot à Paris par l'étude Camard et Associés et par Artcurial, où les affiches de Mai-68, qui devaient être le couronnement de la vente « Mai-68 en mouvements », furent retirées pour une raison inconnue. Des ouvrages ont été publiés : notamment le catalogue de l'exposition du musée des Beaux-Arts de Dôle et le livre de Michel Wlassikoff qui a pour titre Mai-68, l'affiche en héritage (éditions Alternatives, Paris, 2008).

Ce dernier mérite une attention particulière dans la mesure où l'auteur s'y astreint à ne traiter que des affiches conçues et tirées dans l'atelier de l'ex-École des beaux-arts et dans celui de l'École des arts décoratifs – production qui s'échelonne du 13 mai au 27 juin 1968. Il n'est pas inutile de rappeler que le 13 est le jour anniversaire du mouvement du 13-Mai qui marqua, à Alger, la sédition des généraux Salan et Jouhaud et aboutit en 1958 au retour du général de Gaulle à la tête de l'État. Le slogan « Dix ans, ça suffit ! » commémorait à sa manière l'événement annonciateur de l'instauration de la Ve République.

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Déjà, en 1975, avait été publié, avec des notes succinctes signées François Mésa, Les Affiches de l'atelier populaire de l'ex-École des beaux-arts – un recueil qui faisait la part belle aux journaux muraux et aux tracts. Les 500 Affiches de Mai-68, sorti à l'occasion du dixième anniversaire, avait pour auteur Vasco Gasquet qui se présentait comme un protagonistes de l'atelier de l'E.N.S.B.A. et même comme le premier à y avoir introduit un matériel de sérigraphie. Une technique qui devait supplanter la lithographie dont la lenteur des tirages ne parvenait pas à « coller » à la rapidité des événements.

En 1982, la Bibliothèque nationale organisa une exposition intitulée Les Affiches de mai 1968, ou l'Imagination graphique. L'affiche reproduite sur la première page de l'invitation avait pour slogan : « La révolution essentielle ». En mettant l'accent sur l'imagination et en prenant comme exemple un slogan illustré par une image dont le style se voulait proche de celui des graveurs chinois, l'institution faisait passer 1'affiche de la subversion au statut d'objet culturel.

Mai 1968 s'est à ce point inscrit dans le temps politique de la France qu'il se voit, à chaque fois qu'on l'évoque, recontextualisé. En 2007, un candidat à la présidence de la République entendait mettre fin à l'« esprit de 68 ». D'autres voient dans ce mouvement le moteur de conquêtes durables, en particulier dans le domaine des mœurs ; or ces mêmes « avancées » ont eu lieu ailleurs avec moins de fracas. Nous sommes alors amenés à nous interroger sur le sens d'une production d'affiches et de journaux muraux qui pourraient bien être les témoignages exaspérés d'une agonie de l'idéologie révolutionnaire. Affiché, le slogan de Mao, « N'oublions jamais la lutte de classe », loin de conjurer l'oubli, fait de ce dernier une menace. Le savoir révolutionnaire, parce qu'il est un modèle pour l'action, n'est sous-tendu que par une suite d'actes de conviction qui, à la longue, ne peuvent que fléchir. Étrange omission que celle qui fait imprimer « lutte de classe » à la place de « lutte des classes ». S'agit-il d'une erreur de transcription ou d'une défaillance de la démarche dialectique, soudain privée du pluriel ? Le slogan « Mai-68 début d'une lutte prolongée » témoigne d'un changement dans la perception des contestataires. À la révolution en train de se faire succède la révolution à venir.

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L'affiche en héritage rend compte du climat de cette courte période. Les photos de Marc Riboud et de Philippe Vermès qui l'illustrent composent un reportage qui montre ses acteurs absorbés par l'action. Ce n'est pas un hasard si ces participants, qui ne voulaient être que le lieu du passage le plus immédiat de la théorie révolutionnaire à la pratique, voient aujourd'hui leur rôle redéfini par notre époque, laquelle cherche à découvrir des personnalités à l'origine des événements.

Michel Wlassikoff souligne également le rôle du jeune sociologue Bruno Queysanne dans l'activité de l'atelier de l'E.N.S.B.A. C'est grâce à lui et à quelques artistes déjà acquis à ses convictions que la fièvre maoïste s'empare des participants de l'atelier. Au xxe siècle, seuls les fascismes et le maoïsme auront été capables de susciter une contagion idéologique d'une intensité aussi forte, comme si une zone aveugle recherchait son introuvable essence dans une fuite éperdue vers une expression a minima.

Parmi les artistes ayant participé à l'animation de l'atelier de l'E.N.S.B.A., on peut citer des noms déjà connus à l'époque, tels que Gilles Aillaud, Buraglio, Erró, Monory, Ipoustéguy... La volonté d'anéantir toute subjectivité dans « la lutte des travailleurs » en sollicitant les leçons de ces derniers n'a pas résisté au temps. Des historiens d'art, les experts souhaitent aujourd'hui mettre un nom sous chaque affiche. Quelques artistes, rompant le pacte de l'anonymat, revendiquent la paternité d'une ou de plusieurs œuvres. Contrairement aux affiches issues de l'agit-prop soviétique des années 1920, parfois citées comme modèles, les affiches de Mai-68 ne tendaient pas à élever le niveau de perception de ceux ou de celles dont elles voulaient emporter l'adhésion politique. Aussi ont-elles souvent versé dans le simplisme.

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Dès la fin de l'année 1968, Gilles Aillaud, s'interrogeant sur son expérience récente, écrivait : « Faut-il en conclure que pour jouer un rôle, si petit soit-il, dans la lutte idéologique l'art doit se réduire à ses formes les plus simples ? Il serait étrange de penser que pour être efficace il doive s'amputer de la plus grande partie de ses moyens. La dernière et la plus positive des expériences que nous avons faite pose donc plus de problèmes qu'elle n'en résout. »

— Marc THIVOLET

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