MAI-68 (photographies et affiches)
Limitée dans les autres pays aux milieux universitaires et militants en lutte, en France la contestation gagna le monde ouvrier et imposa un caractère politique particulier aux événements qui embrasèrent Paris et certaines grandes villes de province durant le mois de mai 1968. Alors que l'originalité historique des affiches a très vite été reconnue au point de donner lieu dès 1988 à des enchères dans les salles de ventes (les dernières se sont tenues à l'hôtel Drouot, à Paris, et à Chartres en 1998), un intérêt nouveau se dessine pour les photographies de cette période. Des recueils de photos de Gilles Caron, Claude Dityvon et Bruno Barbey sont parus à l'occasion du trentième anniversaire d'une actualité dont ils furent les interprètes. Ces photographies de Mai-68 sont dynamiques, elles restituent la spontanéité, la violence, l'anonymat des actions, surtout elles impliquent émotionnellement le lecteur dans l'actualité la plus brûlante. Certes la presse de l'époque diffuse aussi des images statiques qui fixent des actions qualifiées d'émeutes et sont plus aptes à mettre en valeur des personnalités et des positions officielles. À cette volonté de maîtriser l'incontrôlé de l'information s'oppose la dramatisation des images de mai. Un nouveau style de photojournalisme s'impose, dont les acteurs les plus représentatifs ont traversé certains soubresauts de l'histoire : la guerre puis la Libération de Paris (Marc Riboud, 1923 ; Jean Dieuzaide, 1921), la guerre d'Algérie (Gilles Caron, 1939-1970), les revendications et les conflits du monde dans les années 1960 (Bruno Barbey, 1941 ; Claude Dityvon, 1937 ; Guy Le Querrec, 1941 et bien d'autres encore comme Martine Franck, Georges Azenstarck...).
Cofondateur de l'agence Gamma en 1966, Gilles Caron – qui mourut lors d'un reportage au Cambodge – saisit l'événement par une plongée au cœur de l'action : « Tout est narré à la première personne, et au présent : ce qu'il voit, ce qu'il vit – sans artifice ni pathos ; l'actualité dans l'acception brute du terme [...] Mouvements et gestes à peine suspendus, art du champ/contrechamp, vision cinétique de la scène enregistrée [...] De front ou de dos, pris au ras du sol ou vus du haut, les personnages et les foules respirent ou halètent. Ils sont vivants. Poings levés et jets de pierres, courses effrénées et cris des guerriers, peurs et râles poignants des victimes, tout vibre, tout bouge... » (Robert Pledge, 1998). Alors que des conflits existaient à la faculté de Nanterre (photo Gérard Aimé) depuis la fin de 1967, en écho aux mouvements internationaux opposés à la guerre du Vietnam, très vite la chronologie de l'effervescence étudiante donne lieu à des reportages où les affrontements violents dominent : le 3 mai avec la fermeture de l'université de Nanterre, le 6 mai après l'intervention de la police à la Sorbonne (photo d'Elie Kagan, un spécialiste des manifestations), l'agitation trouve un visage avec les photographies de Daniel Cohn-Bendit tandis qu'apparaissent les premières barricades et l'extension du mouvement en province. La nuit des barricades, le 10 mai, opère un tournant dans le mouvement qui renoue avec les symboles français de la révolte populaire et de la révolution. Les images de combats nocturnes découvrent des scènes incroyables entre protagonistes inattendus : des jeunes gens que rien ne destinait aux combats de rue et des compagnies républicaines de sécurité armées de pieds en cap – casque, matraque et bouclier. De cette nuit naît le slogan « C.R.S. = S.S. », et ses variantes (graffiti ou affiches). La grève générale du 13 mai, suivie de l'occupation de la Sorbonne et de nombreux débrayages aux usines Renault accentuent l'envergure politique des événements.[...]
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Écrit par
- Nelly FEUERHAHN : chercheuse honoraire au CNRS
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